Regarde autrement

Si l'on me dit « Corée du Nord », j'imagine un décor de grisaille, un visage dur, celui de Pyongyang. Si l'on me dit « Afghanistan », c'est le son de la kalachnikov qui résonne en moi. L'image du taliban fanatique, flanqué d'une barbe noire qui arpente mon esprit. Pour le Brésil, c'est l'odeur répugnante des favelas qui me gagne, odeur mêlée à la corruption et au crime. Pour le Mexique, c'est l'horreur du viol, du vol. Pour la Colombie, c'est l'empreinte de poudre blanche se mêlant à la noire, donnant naissance au rouge sale du sang séché. Pour la Somalie, c'est le non-droit, la loi du plus fort, du plus riche. C'est un état qui n'en a que le nom, un état fantôme. Iran, Irak, Venezuela, Birmanie, Ouganda, Angola, Russie, Chine... A chaque pays son lot d'images sordides, d'histoires atroces. A chaque pays sa grisaille que l'on noircit encore un peu plus dans nos esprits, au travers de certaines de nos paroles.

Moi, j'en ai vu des pays. J'en ai vu des sourires d'enfants à faire pâlir le soleil, des pères aimants, des mères qui ne souhaitent que pouvoir élever leurs enfants en paix. J'en ai vu des hommes et des femmes cultiver une terre aride tout en chantant, en accueillant l'étranger à leur table. J'en ai vu des regards qui transmettent plus d'amour que n'importe quel discours. J'en ai vu des couleurs qu'apparemment aucun de nos téléviseurs hightech n'arrive encore à diffuser. OF 27.06.2013


Leçon d'anglais !?!


Un jour, on m'avait dit qu'en parlant l'anglais, on pouvait visiter le monde. Moi, j'ai toujours penser que le bon sens et la débrouillardise était des "cartes" bien plus utiles... merci la Chine.


Does anyone speak chinise, mongol or russian?



Xinjiang et ouest du Gansu

Achats dans une échoppe de bord de route

Quant l'asphalte devient terre et que la terre devient boue
  
Ouighours

Monument et site funéraire

Le Xinjiang, ou le retour aux sources

Chameau bonsai !?!
  

Trois des nombreux cyclo-voyageurs chinois que nous avons croisé

Dunhang, des dunes à 1700 mètres d'altitude

Fort de Jiayuguan

Aline au pays de la "calculette" qui parle

« San, ba, liang, liu 
- Je vous demande pardon !
- Si, liang, jiu, ling 
- Excusez-moi, je ne vous comprends pas bien ! »

Aline était là, debout dans une pièce sombre où se mêlaient diverses odeurs. Elle essayait de déchiffrer cet étrange environnement. Le soufre émanait d'une vieille caisse en bois remplie d'œufs et une multitude d'emballages plastique se disputaient l'espace restreint d'une étagère.

« Ne la dérangez pas, elle compte !

- Que compte-elle ?
- Elle compte, c'est tout. Ici chaque chose a une utilité précise et remplit sa tâche. Les calculatrices comptent, les camions-TV diffusent leurs informations, les tricycles à moteur dialoguent avec leurs conducteurs, les téléphones portables chantent et ainsi de suite. Rien de plus normal, tout a été prévu ! Mais vous, qui êtes-vous ?
- Je suis Aline, la cyclo-voyageuse.
- Alice ? J'ai une cousine, la chenille qui fume, qui a aussi rencontré une Alice, il y a bien longtemps. 
- Euh non, Aline, pas Alice. Et comme ça, vous connaissez une chenille qui fume ?
- Ici tout le monde fume, ma chère Alice. Ça se voit que vous n'êtes pas du pays. Ça se lit dans vos yeux, que vous n'avez pas inventé la poudre ! Ni les pâtes alimentaires, le billet de banque et la révolution culturelle...
- Je vous en prie, je ne crois pas m'être montrée impolie envers vous ! Et d'ailleurs, qui êtes-vous pour me parler de la sorte ?
- Je suis le ver à soie, ma petite Alice.
- Le ver à moi ? 
- Non, à soie... de la route.
- Monsieur de la Route...
- Petite Européenne bornée ! Je ne suis pas plus Monsieur de la Route, qu'à vous, ou que vous sentez bon. Je suis à soie, d'Istanbul à Xi'an. »

Perplexe, notre jeune Aline ne comprenait pas cet être. Le dialogue avec ces habitants semblait résolument difficile. Accoutrés, pour certains, dans des habits des plus fantaisistes, il fallait souvent qu'elle se contente de recevoir un sourire. Sourires sincères, mais peu utiles lorsqu'on cherche sa route ou de quoi boire. 

« Hi hihihi
- Qui est là ?
- Hi hihihi, c'est moi le chat-mot. 
- Pourquoi ris-tu ?
- Hi hihihi, pour que le lecteur comprenne que dans une autre histoire, j'ai eu le rôle du chat-pitre. Mais qu'une fois suffit et que l'on rit aussi avec les mots. 
- Je ne te suis pas !
- Normal, je n'ai pas bougé. Tu ne peux donc me suivre. Mais viens avec moi à la capitale et si tu me suis, tu comprendras. »

Aline reprit donc son vélo et suivit le chat-mot sans vraiment le comprendre. Sur leur route, ils rencontrèrent des régions arides et d’autres cultivées, des cerveaux arides et d’autres cultivés. Le chat-mot parlait et Aline ne l'écoutait plus vraiment. Lors d'une nuit dans un désert, à mille miles de toute habitation, un petit homme à la chevelure blonde comme les blés les interpela : «Dessinez-moi un mouton ! » Ils refusèrent, ayant peur qu'il agisse avec cette pauvre bête comme certains bergers le faisaient dans la région. Les malheureux ! Si en Ecosse, on leur farcit la panse après leur mort, ici on le fait parfois avant ! Le chat-mot, toujours aussi futé, expliqua à Aline que sous ces latitudes, il arrivait parfois que l'on confonde « le sauté de mouton à la poêle » avec « le sauté de mouton à poil » et termina par un tonitruant « le mouton est un animal à poil laineux, à poil les nœuds ! » En s'approchant de la capitale, ils tombèrent sur un étrange petit bonhomme. Il ressemblait à une tranche de carambole jaune sur fond rouge : « Halte ! Sur ordre de l'empereur de la révolution démocratique. » Ils stoppèrent net, devant ce petit soldat, rejoint par quatre autres encore plus petits.

« Vous ne pouvez aller plus loin, sur décret de sa majesté et de sa dame de cœur.
- Et si l'on continue ?
- Couper tête, couper tête, couper tête !
- Vous rigolez ! J'ai un visa en règle et...
- Stop, ma jolie. Ici ce n'est pas la France de Voltaire. Et si vous réclamez, vous terminerez comme Gavroche... »

Le message était clair, si Aline, Aline, Aline...

« Aline, mais tu fais quoi ? Je répare nos vélos depuis des plombes et le seul truc que tu trouves à faire est de t'endormir sous cet arbre... Merci. » OF 05.06.13

De Dunhuang à Wuwei

Voyez Disneyland, prenez-y la faune familiale enjouée, les attractions kitsch et faussement authentiques, les glaces et les prix touristiques et plantez tout ceci dans un décor de grandes dunes de sable. C'est cela Dunhuang. Puis voyez les grottes de Lascaux, prenez-y le trésor historique, le souci aigu de conservation, le témoignage d'un temps de notre histoire - celle de l'Homme - et posez-les dans les grottes tao-bouddhiques de Mogao. C'est aussi cela Dunhuang. Ou encore, le temps d'un plat de nouilles partagé entre Français, Israéliens et Suisses.
Ensuite, c'est le retour dans le désert. Le vrai, celui où il n'y a rien, où il fait chaud, où la soif se fait bourreau et l'ombre salvatrice. Une route, une voie de chemin de fer et une colonie de pylônes électriques. Nos vélos sont lourds. Celui d'Olivier doit atteindre les 80 kilos, noodle soups, biscuits et réserve d'eau obligent.
Puis c'est le retour sur notre S312, notre fil conducteur qui nous ramène sur le droit chemin, celui qui mène à l'est. Ainsi nous arrivons à Jiayuguan, ville étape tant culturelle qu'administrative. Mais avant tout plaisir, la démarche que nous redoutons à chaque nouvelle ville : trouver un logement. En Chine aussi, la catégorie bas budget n'est pas ouverte aux étrangers. C'est bien connu, vous autres occidentaux, vous avez les moyens de vous payer le luxe ! Alors nous trouvons un petit luxe, qui rentre malgré tout dans notre budget. Et comble de bonheur, notre hôtel est situé juste à côté du marché où stands de nouilles, étals de légumes, de viande ou de tofu et boulangeries nous ouvrent leurs portes sans distinction. Quoique. Si nous avons droit à tant de sourires et d'enthousiasme de la part des commerçants, c'est peut-être grâce à nos frimousses d'européens et à notre chinois hésitant. A Jiayuguan, nous faisons connaissance avec celle qui a souvent été imaginée comme un rêve lointain : la Grande Muraille. La ville en abrite la dernière forteresse. On nous l'avait bien dit et nous le confirmons : les Chinois accordent une importance zélée à la rénovation de leur patrimoine. Rénovation et non pas restauration. Du neuf fait sur de l'ancien. Pour nous, une perte d'authenticité, l'abandon du mystique au profit du clinquant. La muraille ici est faite de « torchis » ; on est loin de ce fameux serpent de pierre ondulant en pleine végétation ! Voilà pour le côté vie quotidienne et culturelle. Venons-en à l'administratif. La démarche du renouvellement de nos visas est bien plus simple et rapide qu'imaginée. Une femme charmante parlant un peu l'anglais a pris tout cela en main et le jour suivant, nos nouveaux visas d'un mois étaient apposés dans nos passeports. Par contre, nous apprenons que nous n'aurons droit qu'à un seul renouvellement supplémentaire, soit trois mois au total en Chine. Depuis quelques jours déjà, nous ne cessons de réfléchir à la suite de notre itinéraire. Cette nouvelle ne vient qu'apporter de l'eau au moulin. Ou disons plutôt qu'elle tarit l'une de nos envies, celle de remonter au nord de la Chine dans la Mongolie-intérieure. Toutes ces pensées, envies, enthousiasmes déçus, interrogations et doutes nous amènent à une évidence : nous devons accepter notre condition de cyclo-voyageur et, par ce fait, renoncer à franchir toutes les portes qui s'ouvrent à nous. Se dire qu'il n'y a ni juste ni faux, ni bon ni mauvais itinéraire. Juste un chemin, celui que nous emprunterons, le long duquel profiter pleinement du bon et laisser passer le mauvais. A mettre en pratique.  
Après quatre jours de « pause », nous reprenons la route. C'est au tour du vélo d’Olivier de nous crier sa fatigue. D'abord doucement, puis de vive voix. Impossible de faire plus de 50 km. avec une chambre à air : la valve se cisaille mystérieusement. Puis le moyeu arrière se manifeste bruyamment. Les 150 km. qui nous séparent de la ville suivante se font avec l'angoisse de ne pas y parvenir. Heureusement, sans trop de difficultés, nous y trouvons un magasin de vélos. Changement du roulement à billes, resserrement des axes, changement des caissettes et de la chaîne (matériel que nous transportions depuis l'Inde). Tout a l'air en ordre. Olivier va tester son vélo et rentre à l'hôtel insatisfait : la chaîne n'atteint pas tous les plateaux. Il est 14 heures lorsqu'il s'attaque au problème. A 23 heures, il n'est toujours pas résolu. Impossible de repartir le lendemain. Nuit courte et sans repos. A 7 heures, le travail reprend. A 9 heures, ça y est, tout semble être rentré dans l'ordre ! Mais pourquoi, me direz-vous, ne sommes-nous pas retournés au magasin de vélo demander de l'aide !? A dire vrai, lorsque nous y sommes allés une seconde fois pour dire au gérant que la chaîne installée par ses soins était trop longue, il a demandé à Olivier de quelle longueur il fallait la couper... Nous avons donc limité les frais. 
Le jour suivant, le moral reprend de l'altitude au fil des kilomètres. Le vélo se porte à merveille. Le système de propulsion ronronne silencieusement et la roue arrière se tient tranquille. Mais les vélos ne sont pas les seuls à accuser la fatigue des nombreux kilomètres parcourus. Il y a nos pantalons qui changent de couleur au fur et à mesure que les tacons viennent s'ajouter sur le tissu devenu trop fin. Il y a aussi le matelas de sol d'Olivier qui est maintenant difforme et oblige son utilisateur (moi en l'occurrence) à faire preuve d'imagination en termes d'adaptation du positionnement. Et puis, les fermetures des sacoches qui lâchent, la vaisselle qui se déglingue, la fermeture éclair de la tente qui ne fonctionne définitivement plus... 
Après la séquence matériel, passons à la rubrique animalière. Ames sensibles s'abstenir ! C'est l'histoire de bébés tortues de Californie, rencontrées dans un supermarché, exposées dans un aquarium au même titre que les poissons frais, les canards laqués et les poulets grillés. Puis c'est l'histoire d'un berger, en contre-bas de l'autoroute que nous empruntions qui nous a démontré en live que la zoophilie n'est pas un mythe. Mais quelles surprises nous réserve donc la Chine !!!
Nous voilà maintenant à Wuwei où nous nous sommes arrêtés pour des besoins technologiques cette fois, Internet. Nos pauses en ville nous permettent de découvrir une facette de la Chine que la route et le camping sauvage ne peuvent nous offrir. Alors, nous en profitons avec plaisir et curiosité. AG 05.06.13