A la suite de notre mésaventure, vous avez été
nombreux à nous faire part de votre soutien et de votre amitié. Les mots nous
manquent pour vous dire merci, comme nous le souhaiterions vraiment. Si nous
avons eu le sentiment d'être profondément seuls, un court instant, aujourd'hui
nous savons plus que jamais que la distance ne nous a pas effacés de vos cœurs.
Ce sentiment nous a donné la chaleur qui nous manquait et nous en avons même
gardé un peu dans nos sacoches. Si les nuages ont obscurci notre voyage le
temps d'une matinée, notre envie de découvertes et de rencontres n’a
heureusement subi aucun dommage. Nous sommes deux et c'est là notre plus grande
force. Ça, nous le savons, tout comme nous savons aussi que voyager engendre
certains risques. Des risques qui peuvent parfois devenir des dangers et ces
dangers se transformer en problèmes. Mais ne gâchons pas notre merveilleux
soleil d'aujourd'hui par la noirceur d'hier. Réjouissons-nous de ces sourires
qui nous accueillent à l'entrée des villages, de ces stands de fruits qui nous
ont tant manqué ces dernières semaines. Roulons le cœur léger et soucions-nous
seulement du « comment faire cuire notre pizza maison de ce soir » et
du « où trouver du pain frais pour notre fondue de demain ». Notre
histoire continue ! Et c'est forts d'une « expérience » supplémentaire
que nous attaquons les routes d'Argentine et du Chili. La Patagonie n'a qu'à
bien se tenir... Nous arrivons !!!
OF 28.11.2013
La raison ou la peur?
Six heures du matin. Le ciel est orangé et la proximité
d'un lac nous offre encore un peu de fraîcheur. C'est l'office du tourisme de
la ville voisine qui nous a recommandé ce petit bout de paradis. Il ne s'était
pas trompé ; hier encore, l'endroit regorgeait d'amoureux du barbecue et
l’ambiance y était familiale. Six heures du matin et cet Éden devient pour nous
un véritable enfer. La quiétude matinale est soudain brisée par des vociférations.
Deux ombres se jettent sur nos vélos dans le but de nous les ravir. Je sors.
Peu surpris par un tel agissement, je me retrouve face à deux jeunes hommes
qui me font face. Leur état m'interpelle, me laissant croire, dans un
premier temps, à une déficience mentale. Je reste calme. Il faut désamorcer
cette situation avant qu'elle ne dégénère. Aveuglé par la surprise, je ne
remarque pas qu'elle est déjà hors de mon contrôle. Ils enlèvent leurs T-shirts,
font les gros bras, m'insultent. Désamorcer cette situation, il le faut. Ils
hurlent en espagnol, menacent de me tuer, me jettent du sable au visage, me
donnent des coups. Désamorcer la situation. Le plus jeune d'entre eux se colle à
moi, hurle des phrases que je ne comprends pas à l'exception du mot « imbécile ».
J'ai la bouche et les cheveux remplis de sable, les yeux me piquent. Je craque.
En une fraction de seconde, mon genou s'encastre dans le ventre de ce dernier.
Il tombe mais se relève comme si je n'avais qu'effleuré sa chair... Incompréhension.
La violence de mon coup aurait dû me donner quelques secondes de répit. Drogués
jusqu'à la moelle, ils ne ressentent plus la douleur. C'en est trop, jamais
l'on ne m'a appris à gérer une telle situation... Incapable de m'aider, mon
cerveau se déconnecte. Seule sa partie reptilienne fonctionne encore. Je ne réfléchis
plus, j'agis. Aline me racontera plus tard qu'un échange de coups a eu lieu,
que je me suis retrouvé au sol avec deux individus tentant de m'étrangler, de
me tuer. Bien qu'écrasé par plus de 120 kilos, je me relève, je les soulève
pour me libérer, pour respirer à nouveau. La situation se complique. Un troisième
acolyte fait son apparition. Plus fourbe que les autres, il restera un peu au
loin et lancera une grosse pierre sur la tente. Aline est à l'intérieur. Une
seule chose m'importe : nous sauver, la sauver. Je peux assumer encore bien des
coups et j'essaie d'offrir un peu de temps à Aline qui tente de rassembler nos
affaires. Nos décisions ne sont plus rationnelles mais la situation est hors
des normes que nous connaissons. Occupé par l'un d'eux, je ne vois pas la lâcheté
qui opère. C'est au bruit des pleurs d'Aline que je constate l'évidence. Sortie
de l’habitacle de justesse, elle regarde notre tente se faire consumer par les
flammes. Conscients qu'à mains nues, ils ne pourront affronter ma colère, ils
se munissent de pierres. Lapidation ! Impossible de faire face. Chacun de
ces projectiles pourrait être synonyme de « fin du Voyage ». Je
recule. Il nous faut de l'aide ou simplement trouver un refuge. Je quitte le
campement, ordonnant à Aline de me suivre. Cent mètres plus loin, je constate
que je suis seul. Retourner en arrière ou avancer jusqu'à ce groupe de badauds.
S'engouffrer dans une impasse à la sortie incertaine ou demander de l'aide.
Tout en leur demandant d’appeler la police, mon attention se fige sur un objet.
Le monde qui m'entoure devient comme flou, les sons deviennent sourds. Seule
une barre métallique, appuyée contre un barbecue, me semble nette. « S'ils
ont touché à Aline, t'auras de quoi régler la situation », me dit une
petite voix. Un je ne sais trop quoi me retient. Pourquoi ? Je retourne au
campement. Une nouvelle grêle de pierres m'accueille. Je sais que je ne serai
bientôt plus seul et mon espoir se ressent. Ils comprennent la nouvelle
situation et déguerpissent dans les fourrés. Aline est en pleurs. S'ils n'ont
osé la frapper, ils ont eu par contre des gestes lâches et déplacés.
Après les formalités au poste de police et trois arrestations musclées, nous nous retrouvons dans une chambre mise à disposition par la municipalité. Une nouvelle tente nous a également été promise pour le lendemain. Là, c'est le corps qui se réveille. Un simple toussotement et c'est mon être tout entier qui se tord de douleur. Ce que ma tête a volontairement oublié, mon corps lui s'en souvient. Mon passage à l'hôpital m'a permis de panser mes plaies mais mon bras droit refuse de se plier. Si j'accuse les coups reçus, ceux donnés me font également souffrir. Que s'est-t-il réellement passé ? Le saurai-je un jour ?
Voilà 48 heures que ce cauchemar s'est terminé. Mon corps va mieux et Aline a retrouvé le sourire. Mais, je ne cesse d'y penser. Aurais-je dû plus rapidement laisser mon corps s'exprimer ? Ou la voie de la non-violence, même dans l'échec, reste-t-elle la bonne solution ? De plus, cette question me ronge : qu'est-ce qui m'a empêché de m'exprimer plus intensément par la force. La raison ou la peur? OF 21.11.2013
Merveilleuse descente
Le vent souffle et siffle
à nos oreilles. Pas de doute, nous sommes bien en haut d'un col. Paso Abra
Blanca, 4080 mètres d’altitude indique le panneau bardé d'autocollants en tous
genres. Ce col est comme tant d'autres : désert, sec et venteux. Mais ce
dernier ne nous laisse pas indifférents. Il marque pour nous la fin de la
cordillère, de cet altiplano qui nous a joué bien des tours, rendant ses
paysages encore plus beaux par la difficulté de leur accès. L'allié qui nous
aidait encore hier a retourné sa veste. Ami infidèle, aurait dû l'appeler les
Hommes. Satané vent ! Tu transformes ce délicieux rêve, cette merveilleuse
descente en un nouvel effort. 2880 mètres de dénivelé négatif sur un peu moins
de 130 km. Une série de descentes, de faux-plats-descentes et de plats, qui
auraient dû se consommer sans modération. Tu parles, on pédale en descente pour
atteindre un médiocre 17 km/h. Cela nous donne plus de temps pour admirer le
paysage ! Nous quittons donc les hauteurs vers les 15h30, après une bonne
tasse de thé chaud et notre ultime bout de chocolat. Il fait froid. Aline est équipée
comme pour attaquer le Pôle Sud. Et mon envie de me lancer dans cette folle
descente est gigantesque. Rapidement, la pampa nous fait ses adieux. Finis les
vigognes sauvages, les troupeaux de lamas et d'alpagas. Bonjour les moutons,
les ânes, les vaches, les chevaux et les moucherons. La première végétation
digne de ce nom que l'on retrouve, est le cactus. D'immenses spécimens, à la « western
spaghetti ». Il ne manque plus que la musique d'Ennio Morricone pour
oublier que c'est en Argentine que nous roulons. Ces cylindres aux piquants acérés
nous accompagneront tout au long de la descente, cédant de temps à autre un peu
de place à une végétation plus verdoyante. Tout d'abord de l'herbe, puis des
arbres. On s'arrête. Une véritable explosion de beauté. Après l'image vient le
son. Le gazouillis des oiseaux nous comble de bonheur. On ne sait trop quand on
l’a entendu pour la dernière fois. Chante petit être ! Réchauffe-nous le
coeur, on en a bien besoin. Plus nous descendons, plus elle monte. C'est
naturellement de la chaleur dont je vous parle. Si hier encore, c'est le soleil
que l'on attendait, aujourd'hui, c'est l'ombre qui nous fait de l'oeil. Au fil
des kilomètres, c'est également la civilisation qui reprend ses droits. Une
route asphaltée, des panneaux de signalisation routière, des panneaux qui
informent qu'il ne faut pas détruire les panneaux de signalisation routière !
Les villages se repeuplent et le rire des enfants se fait entendre à nouveau. Là
où il y a des hommes, il y a des clôtures. Nous savons qu'en plaine, il sera
plus difficile de trouver des places de bivouac. Voilà déjà quatre jours que
nous roulons en Argentine, quatre jours que nous nous questionnons sur ce que
sera cette aventure au pays du soleil. Quatre jours que nous cherchons à savoir
quelle heure il est réellement dans ce dernier pays d'Amérique latine.
OF 12.11.13
Le meilleur ami de l'Homme
Vous pourriez écumer tous les continents, visiter les
régions les plus reculées de notre terre, jamais vous ne rencontrerez un
cyclo-voyageur ne vous parlant, à un moment ou à un autre, de chiens. Il est
bien connu, le chien s'abat aussi rapidement dans un fusil que sur un voyageur à
la petite reine. Mais attention, ne tirons pas de conclusions hâtives sur ce
quadrupède. S'il ressemble bien souvent à Max, la célèbre créature du roman
homonyme de Stephen King, il lui arrive également de nous faire retomber dans
notre enfance. De nous donner envie de fredonner l'hymne de ce si merveilleux
berger des Pyrénées.
Le voyageur au long cours doit donc faire avec. Là où il y a des hommes, il y a des chiens. Et mieux vaut apprendre à les différencier. Si « l'habit ne fait pas le moine », le pelage fait souvent le chien. J'aime à classer ces animaux en trois catégories : les dressés, les délaissés, les abandonnés. A cela peuvent s'ajouter les sous-catégories suivantes : les travailleurs, les mamans et les malades ou accidentés. Naturellement, on pourrait distinguer bien d'autres sous-catégories. Mais les chiens vont vite et les vélos lentement, il ne faut donc pas se perdre dans les détails et agir en conséquence.
Les dressés : géographiquement parlant, ils se retrouvent le plus souvent dans les pays dits développés. Reconnaissables à leur beau pelage, on constate rapidement que leur histoire ne rejoint que rarement celle des voyageurs à deux roues.
Les délaissés : à mon sens, les plus dangereux. Ces
derniers sont soit totalement crétins, soit totalement haineux. Courir et
aboyer, tout en essayant de mordre une sacoche ou mieux un mollet, voilà toute
l'étendue de leurs compétences. Appartenant à des propriétaires, soit
totalement crétins, soit totalement haineux, ils ont su tirer le « meilleur »
de leur maître. On ne peut donc pas vraiment leur en vouloir. Le manque
d'affection restant la principale raison de leur état.
Les abandonnés : mieux renseignés sur l'effet « lancer
de pierre » que sur la « caresse-gratouille », ils ont appris à
craindre les bipèdes. De cette catégorie, le seul réel danger est de les
prendre en pitié et de leur refiler tout votre casse-croûte.
Les travailleurs : là, la question ne se pose pas. Le
chien restant peu compétent dans le service après vente, l'homme lui a déniché
un job où il excelle : la garde. Si le chien de berger d’Anatolie vous annonce
la couleur avec ses huitante centimètres au garrot et ces soixante-cinq kilos,
ne sous-estimez pas les plus petits. Ils auraient tendance à faire du zèle. Et
pas de jour de repos ni de retraite pour ces inlassables gardiens. Certains
laisseraient même à penser qu'ils ont fait de leur job un hobby.
Les mamans : essayez de toucher un bébé dans la
poussette d'une inconnue. A la suite de ce geste, vous pourrez aisément compter
le nombre de ses doigts en vous regardant dans un miroir. Ou vous rendre compte
à quel point l'entre-jambe de l'homme est fragile. Pour le chien c'est, à peu
de chose près, pareil. Enfin, on a tout de même rarement vu une jeune maman
mordre un inconnu !
Les malades ou les accidentés : ils ne vous attaqueront
généralement pas et préféreront changer de trottoir. Mais s'ils se sentent en
mauvaise posture, il ne se géneront pas pour vous le faire savoir. Une dernière
charge pour l'honneur, vous diront les adeptes de la poudre noire.
Pour parer l'attaque redoutable de ces mâchoires aux
babines salivantes, mille ruses sont adoptées par les cyclistes à travers le
monde. On trouve naturellement le bâton, savamment attaché au cadre du vélo qui
se dégaine plus vite que son ombre. Il y a aussi les poches à cailloux ou à
toutes formes de projectiles protecteurs. Certains vont même jusqu'à emporter
avec eux un petit boîtier à ultrason. Vraiment pratique quand on sait qu'il a
une efficacité dans un rayon de sept mètres. Trente kilos lancés à bien
quarante kilomètres heure, avec la seule envie de vous arracher un morceau… Je
vois mal un de ces molosses stopper sur moins de sept mètres pour cause de
petit bruit dérangeant. Moi, j'ai adopté une toute autre méthode. Ni arme, ni
violence. C'est la confiance en soi qui me sauve... et peut-être un petit truc
en plus que j'ai avec le règne animal. Un je ne sais trop quoi, qui ne
s'explique pas vraiment. Un chien qui vous charge le fait généralement parce
qu'il a peur de vous. Alors descendez du vélo plutôt qu'accélérez. Enlevez vos
lunettes de soleil pour qu'il puisse voir votre regard. Signalez votre arrivée
en sifflotant pour qu'il ne soit pas surpris. Tendez lui la main, pour qu'il
sente votre odeur. Accroupissez-vous... Et si cela ne marcher pas, restez
confiant. L'Homme de la situation, c'est vous. Retrouvez l'animal qui vit en
vous et devenez le chef de la meute pour un instant. Imposez-vous par la voix,
par le regard. Ça marche par tous les temps. Par soleil, comme par temps de
chien.
OF 15.11.13
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