Entre Portugal et Espagne

L'anti-vole parfait

Village de Sitio (Nazaré)

Église de Santa Comba Dao

Maria notre hôte

Texte de base: Junta de Castilla y Leon

Campagne espagnole

Une provenance douteuse

Péninsule ibérique

Nos premiers coups de pédales nous font longer une côte portugaise plus que déchirée. La lutte acharnée de la mer contre la terre offre des paysages somptueux que les surfeurs locaux s'approprient dès le lever du jour. Comme des troupeaux d'otaries, ils virevoltent dans de gracieux ballets dont on se délecte depuis les falaises voisines. L'amabilité des Portugais comble aisément le manque de soleil des premiers jours. Si les coups de klaxons se font plus rares que de l'autre côté de l’Atlantique, c'est toujours avec une grande gentillesse que l'on nous indique la route. Et là, attention de ne pas rire. Le portugais est bien une langue remplie de « ch » avec assurément pour plus beau mot, le « foutchebôl ». De la côte, nous gagnons l'intérieur du pays. Un véritable délice pour les yeux et les narines. Le printemps est là et les glycines nous le font savoir. Petits villages d’antan et maisons flamboyantes - de ceux qui ont réussi à l'étranger - ponctuent une campagne verdoyante. La nourriture stimule nos papilles qui avaient presque oublié le goût du pain frais. Un fait me marque, une de ces petites choses que l'on nomme évidence : l'eau chaude. Douches, stations service, campings, toilettes publiques, pas un robinet ne fait défaut. Cette chaleur sur notre peau est un délice que l'on n'arrive pas à écourter. « Encore juste une minute ! » Après le pays de Diego Suarez, c'est celui d'adoption de Cristóbal Colón que nous découvrons. La couleur est annoncée : camping sauvage interdit et port du casque à vélo obligatoire. Pour le camping, on la jouera « pas vu, pas pris ». Pour le casque, nous plaiderons l'impossibilité d'en acheter un vu le grand nombre de jours fériés que compte la semaine sainte. Ceci dit, en dernier recours, je n'hésiterai pas à utiliser notre arme secrète : le sourire d'Aline. OF 20.04.2014



26 lettres pour voyager


Amour, c’est peut-être la plus belle raison de voyager. A la question « Pourquoi pars-tu ? », il existe mille et une réponses. A celle « Pourquoi ne rentres-tu pas ? », il n’en existe qu'une : l'amour du voyage. Le voyageur au long cours le sait : le voyage est une sirène enchanteresse et séduisante. Difficile donc de résister à son chant, de ne pas répondre à son appel. Le flirt n'est guère possible avec le voyage. Aidé du temps, il fait tomber les masques que l'on se réserve. Se duper est donc inutile. Le voyage est une femme de caractère que l'on aime ou que l'on quitte.

Biscuits, aliments de base du cavalier à deux roues. Pratique, peu cher et vendu aux quatre coins du globe, le biscuit est aux cyclo-voyageurs ce que la croquette est aux canidés. Parlant de quadrupèdes, j'ai parfois bien cru à des erreurs de packaging. Si l'emballage fait partie des traîtres, le biscuit, lui, est fidèle. Europe, Asie, Amérique latine, on le trouve partout et c'est bien ce qui fait défaut au pain. Le bilan est donc clair : sur cette planète on se fait plus facilement des « cobiscuits » que des copains.

Cornet pipi, voilà assurément l'objet le plus hétéroclite que l'on trimbale dans nos sacoches. Cela ne s'achète pas mais s'invente un jour de pluie. « Il pleut, il pleut bergère, rentre tes blancs moutons... » Conseil des plus avisés ! Un expert n'aurait pas mieux dit ! Mais la chanson ne nous dit pas ce que font ces blancs moutons lorsque l'envie de se soulager les prend. On imagine ! Difficile de confondre une tente avec une bergerie. On ne peut donc uriner à l'intérieur. Et pourquoi pas ? Un sac plastique comme toilettes et un deuxième pour transporter le premier. Le cornet pipi est inventé. Et pour ceux que cela pourrait dégoûter, sachez qu'on a le même depuis la Suisse !

Douche, passage obligé de la journée, moment désiré de la semaine. La douche fait partie, lorsque l'on voyage, de ces « communs » qui deviennent des « tant attendus ». Elle a cette petite chose en plus qui fait briller les yeux du cyclo-voyageur. Une douche et nous voilà dix ans plus jeunes. Une douche et voilà notre peau d'éléphant troquée contre celle d'un nouveau-né. Si on oublie vite que l'on a pris une douche, on remarque par contre quand on n'en a plus pris depuis longtemps. La moiteur de l'entre-jambe, le cuir chevelu qui démange, cette peau qui semble humide depuis toujours. L'entourage le sait aussi mais rares sont les remarques. Les « mal-douchés », il y  en a partout le long des routes. L'eau chaude, un mythe ou une douce illusion que le temps estompe trop rapidement. Il faut s'y faire ! La douche en voyage est rarement un moment de détente, mais reste toujours un plaisir.

Eau, peut-être le mot que le cyclo-voyageur connaît dans le plus grand nombre de langues : eau, agua, water, ujë, wasser, води, ,, voda, νερό, acqua, su... Les alchimistes l'avaient placé dans leur quatuor de base. Elle est au cœur de tout voyage. On la consomme, on l'admire, on l'écoute, on la savoure, on l'utilise, on l'apprécie, on l'achète, on la reçoit, on l'offre, on l'attend, on l'emporte, on la partage, on la cherche, on la trouve, on la purifie, on la bout, on la chante, on la bénit, on l'adore, on la souhaite, on l'espère, on l'aime, on l'agrémente, on la met en bouteille, on l'explore, on la parcourt, on la transforme, on en rêve, on en salive, on en redemande... Mais avant tout, on se doit de la respecter. Une planète bleue qui n'a plus de larmes ou quand mettre de l'eau dans son vin ne sera plus une métaphore, mais un luxe qu'on ne pourra plus s'offrir.

Fatigue… ou quand l'envie de dormir surpasse celle d'écrire...

Grand, un détail de taille lorsque l'on emprunte les routes de notre planète. Satisfait de mes 184 cm, je relativise suivant la latitude. Il est incontestable qu'avec une taille pareille, je peux m'inscrire à n'importe quel casting pour la prochaine version de Blanche-Neige et les sept nains, en terre nord-américaine. Et ce ne sera pas la place du prince charmant que je peux espérer obtenir. Par contre, une fois en Asie ou en Amérique latine, ce sont les plus « grands » rôles qui m'attendent. Goliath, dans le remake du « Premier Testament », le Cyclope dans la nouvelle version de « L'Odysée », le rôle du condamné à mort, dans la version asiatique de « La ligne verte ». Mais attention, si faire la star sur ces continents peut sembler chose aisée, elle comporte quelques risques. Très vite, vous tutoierez les traverses de cadre de porte, la charpente des maisons et les plafonds des toilettes. Vous pourrez également vous gratter pour trouver des chaussures pointure quarante-quatre, un lit à votre mesure ou une place confortable dans un bus long-courrier.

Horizon, dès les premiers jours tu étais là. Comme un animal craintif, tu t'adaptes au terrain. Tu te trouves loin au fond des plaines. Tu te rapproches en montagne. Tu te caches dans le brouillard. Chaque matin nous nous levons dans l'espoir de te rejoindre. Nous forçons sur nos montures pour te voir disparaître dans la douceur de la nuit. Armés de notre courage, nous te traquons au-delà des mers, te traçons au-delà de nos peines. Aujourd'hui, nous le savons, nous sommes devenus des chasseurs d'horizon.

Insectes, six pattes, deux paires d'ailes, un corps en trois parties... et cent mille enquiquinements. L'insecte fait partie intégrante du voyage. Pour le meilleur et pour le pire, comme le veut la formule. L'insecte est partout : tente, sacs de couchage, « sacoche nourriture », vélos, habits, cheveux... Il est passé maître dans l'art de coloniser le matériel du cyclo-voyageur tout comme le cyclo-voyageur lui-même. Vampirisé, suçoté, habité, le « mal-douché » est un véritable garde-manger pour ces petites bêtes opportunistes, un luxueux palace au prix symbolique. Il faut s'y faire... ou il faut se les faire ! Pas d'échappatoire possible. Soit on s'arme de patience, soit on s’arme tout court... Casquette, bouquin ou à main nue, rien n'échappe à ce sanglant et inégal combat, à deux contre mille.

J'arrête quand je veux ! Une promesse plus facile à tenir pour un fumeur que pour un cyclo-voyageur.

Kiwi, un mot simple et amusant. Un mot auquel nous associons tous une image, donnons une définition. Pour certains, cela sera un fruit mûr mélangeant l'acidité au sucré. Pour d'autres, un maladroit volatile au bec sans fin. Certains y verront peut-être même un peuple vibrant au rythme du rugby. Plus j'y pense et plus j'y crois, la vie est un kiwi que le voyage aide à comprendre. Un joyau qui se conjugue non pas au singulier, mais au pluriel.

Lune. La Juliette de Shakespeare voyait en cet astre une inconstante que l'on ne peut comparer à l'amour. Moi, j'y vois un pilier fort qui relie le voyageur à ceux qu'il aime. Cette pensée, je la dois à ma maman qui, habituée à me voir partir, m'a dit un jour : « Le soir, si tu regardes la lune, je saurai que l'on contemple la même chose au même moment. Et cela me donnera l'impression que tu es un peu moins loin de moi. » Aujourd'hui, je me surprends parfois à errer sur la planète de Pierrot, à observer ce grand lapin, le coeur serré. La lune me rappelle que des gens m'aiment et attendent mon retour. La lune est et restera mon plus grand soleil.

Mail, quelques clics et nous voilà informés. Déclarations d'impôts, naissances, petits bonjours ou véritables romans, la communication n'a plus de frontière. Le temps s'efface devant le maître mail. Je me souviens d'une lettre écrite par l'un des deux hommes qui a conquis l'Annapurna en 1950. Un écrit qui relatait leur aventure et l'insolite voyage d'un de leurs porteurs, qui avait été envoyé à la poste de Delhi pour s'informer d'un éventuel courrier. Proche de Katmandou, il lui avait fallu parcourir des centaines de kilomètres pour une hypothétique lettre. Bip : « Vous avez un nouveau message ». Mail, forum, réseaux sociaux, GPS, carte de crédit, smartphone, ordinateur portable, altimètre, station météo de poche, panneau solaire. Les années ont passé et la façon de voyager s'est modifiée. Voyage-t-on mieux aujourd'hui ? Je manque de recul pour statuer.

Naufrage. Il n'y a pas qu'en mer que l'on peut faire naufrage. Le voyage compte aussi son lot de naufragés. Je ne sais trop pourquoi mais il arrive que l'on se perde sur les sentiers du monde. Errer est le terme. Aller de l'avant sans plus savoir pourquoi. S'arrêter dans un village et ne plus en repartir. S'il n'y a pas vraiment de lieu propre au naufrage du voyageur, certains sont tout de même reconnus pour être de véritables « Cap Horn ». L'Inde en est le maître, pays où des dizaines et des dizaines de voyageurs déambulent sans le sou, ayant laissé leur identité au coin d'une rue. Le temps a perdu sa mesure et les questions n'ont plus de sens. Plus vraiment des voyageurs et assurément pas des autochtones, ils flottent entre deux mondes, comme des âmes en peine.

Oui, c'est la réponse que je donnerais à Aline si elle me demandait de repartir avec elle faire « le Tour ».

Pont : « Ouvrage par lequel une voie de circulation, un aqueduc, une conduite franchit un cours d'eau, un bras de mer, une dépression ou une voie de circulation» (Larousse). Ces édifices sont bien plus, pour le cyclo-voyageur, que de simples voies de circulation. Ils sont comme l'oasis pour le bédouin, sécurisants et réconfortants en même temps. Qu'importe leur taille ! Par beau temps, ils se transforment en parasol, offrant cette ombre si rare quand l'Astre est au zénith. Par temps pluvieux, ils deviennent toits. Oh ! comme il est agréable de savoir que l'on pourra cuisiner et dormir là où la pluie ne peut aller. Le pont est protecteur. Il nous cache, nous dissimule des regards indiscrets. Quand le camping sauvage est interdit ou que la région semble peu sûre, le pont nous protège comme la poule le ferait avec ses poussins. Le pont peut également être lieu de mort. Grand nombre d'animaux viennent y terminer leur vie. Mais il est aussi lieu de vie, où poissons, batraciens et oiseaux aiment à se prélasser à l'ombre de ce géant de pierre et d'acier.

Questionnement, un état que le « noir ou blanc » satisfait rarement. Un chemin qui, en s'explorant, s'étale tel un delta. La simplification est rarement une réponse mais un bouchon gardant précieusement l'ivresse du savoir. Pourquoi certains se perdent-ils dans ce labyrinthe fractal alors que d'autres n'en connaissent pas l'existence ? Y a-t-il une sortie ou le jeu consiste-t-il simplement à parcourir ses entrailles avec, qui sait, deux ou trois jardins pour s'y reposer ?

Réparation. « Qui veut aller loin ménage sa monture. » Qui va loin doit savoir la réparer ! L'usure du temps ne se lit pas seulement sur le visage de celui qui voyage ; il s'observe également sur son équipement. Ce n'est pas le nombre d'accrocs qui fait le voyageur mais le nombre de tacons. Ce n'est pas le nombre de pièces neuves qui fait le cyclo-voyageur mais la couleur de ses mains. Un proverbe bouddhiste dit : « S'il n'y a pas de solution, c'est qu'il n'y a pas de problème. » Un outil essentiel pour le voyageur au long cours. Un outil que l'on retrouve dans toutes les « trousses » de ceux qui croient en eux.

Sourire. Le cyclo-voyageur transporte une multitude de clés dans ses sacoches : une clé à molette, une clé de 5, de 12, de 13 et de 14, deux clés de cadenas, des clés imbus et pour certains, quelques clés USB. Elles peuvent toutes se prêter, se donner ou se perdre et n'ont que peu d’impact sur le cours d'un voyage. Il y a une clé que l'on reçoit à la naissance, une clé unique qui nous rend beau, qui nous rend bon. Cette dernière ouvre plus de portes qu'un voleur ne peut en fracturer. Elle s'offre sans raison et contente petits et grands. Cette clé est le sourire qui accompagne à merveille la clé des champs.

Temps, voyage, petite parenthèse dans ce monde qui en demande tant et qui en donne si peu. Ce tableau est-il vraiment la réalité ou seulement celle que l'on se peint jour après jour. Le temps est en soi une chose bien simple mais sa gestion semble si compliquée. Avoir du temps est un luxe, ne pas en avoir fait sérieux, en avoir trop rend marginal. Mais avoir du temps, n'est-ce pas simplement une question de choix ? Des choix qui nous mènent vers l'être ou l'avoir ?

Une carte postale. Singulier objet qui rassure, paradoxe à deux faces. J'ai reçu une carte postale, j'ai donc un ami. J'ai envoyé une carte postale, j'ai donc un ami... enfin, je crois. Il est tellement plaisant de découvrir cette petite touche de couleur en relevant son courrier. Mais tellement astreignant de s’atteler à sa rédaction. Notre bonheur est-il plus important que celui des autres ? C'est pourtant cela recevoir une carte postale. Soixante secondes de plaisir pour dix minutes de calvaire. Nous, nous y avons trouvé une toute autre utilité. Faire découvrir notre pays aux personnes que l’on croise. « Une image vaut mieux qu'un beau discours. » Des images, on en a plein : Château de Chillon, ville de Vevey, vignoble de Lavaux, glacier d'Aletsch, bateau de la CGN, Dents du Midi... Petits ambassadeurs à deux roues, nous faisons découvrir la neige aux habitants des déserts, les châteaux à ceux qui n'ont jamais vu de maisons en pierre. Les questions fusent et divergent mais à chaque fois les sourires naissent et les yeux brillent. Et ça, sans même les écrire.

Vevey, nid d’où nous avons pris notre envol pour une destination incertaine. Première d'une liste plus longue que le nombre de jours qu'il y a dans deux années. Les villes, à l'image de l'homme, sont uniques. Véritables joyaux ou taudis nauséabonds, les villes ne nous ont jamais laissés indifférents. Peurs, rires, larmes, elles sont créatrices de sentiments que le temps transforme. Oasis ou passage obligé, nos sourires se dessinent tantôt à l'entrée, tantôt à la sortie de ces agglomérations. Certaines sont de véritables trésors, d'autres ne sont pour nous que des « banques » où l'on se réapprovisionne. Sans ville, notre voyage ne serait possible. Et c'est d'une manière bien ingrate que nous les considérons. La ville transforme les hommes, leur donnant un sentiment de force, d'invulnérabilité, une bêtise que n'égale que l'oubli de Celle qui nous a tous vu grandir.

WC, ou l'endroit idéal pour vous parler de la petite commission. Un sujet souvent étalé sur le papier mais rarement à l'aide d'une plume. Un acte d'une telle singularité que l'on n'ose en parler. Tabous, tout à l’égout. Loin du qu’en-dira-t-on, c'est sans gant que j'attaque le morceau. Le roi est comme l'étron, il se pose sur le trône. Si tout le monde sait ce qu'est un roi, peu d'entre nous ont déjà « bûché » sur un trône. C'est que cette chose qui nous est si naturelle est loin d'être universelle. Intimité, papier et silence, le trio gagnant pour qui veut se soulager. Un trio malmené pour qui veut voyager. Je pourrais vous parler de ces Boliviennes qui se soulagent sans même relever leur robe. Je pourrais vous parler de ces Indiennes qui nous font voir la lune au milieu du jour. Je pourrais vous parler de ces milliers d'hommes et de femmes qui s'essuient avec la main. Je pourrais vous parler de ces petits culs blancs qui s'enferment dans des pièces, s'efforçant de ne faire aucun bruit et aimant bouquiner une fois les intestins purgés. Je pourrais vous parler... mais excusez ! Là, il me faut y aller.

X est égal à... Le voyage est semblable à X. Un éternel inconnu que l'on cherche à comprendre. La formule peut varier mais semble toujours assez simple au départ. On la travaille et on la retravaille. Plus on avance et plus de facteurs entrent en ligne de compte. On s'obstine, on simplifie, on fractionne. De quelques caractères, on arrive à une page entière. Si le voyage est semblable à X, il ne se calcule par contre pas. Il se vit et c'est peut-être dans ses inconnues que l'on y trouve nos réponses.

Yeti, un rêve d'enfant. Un abominable homme des neiges qui m'ouvrit les portes du questionnement. Est-il possible que... Par manque de connaissance et parfois de temps, le « non » revenait souvent en réponse. Mais le savoir, n'est-il pas comme le monde, rempli de chemins ? Chemins qu'il faut emprunter soi-même pour y découvrir la vérité. Aujourd'hui, je le sais. Le yeti existe ! Peut-être sur les pans enneigés de l'Himalaya, assurément dans les croyances de ces peuples qui tutoient les étoiles.

Zorro en castillan, renard en français. Vivant entre piste et asphalte, nous avons rapidement compris que le goupil, ainsi que ses frères à poils, à plumes et à écailles, feraient partie de notre voyage. Jamais hostiles, souvent curieux. Nous avons fait de ces scènes quotidiennes de véritables instants de bonheur. Qu'il pleuve ou qu'il vente, nous ne pouvons nous lasser de ces petits moments que la nature nous offre. Ballets de dauphins joueurs, envol d'un papillon azur, regard béat d'un dromadaire, lenteur du pas de l'éléphant... Comment ne pas succomber ? Mais surtout, comment le faire connaître, le partager, pour qu'il ne disparaisse, emporté dans la frénésie humaine.OF 19.04.14

De Ushuaia à La Baneza


Une heure trente du matin, dans une auberge, sur le canapé du réfectoire. Le bruit du frigo qui vient de se mettre en marche me paraît être un doux ronronnement à côté de celui qui règne dans le dortoir. Je suis venue ici demander asile dans l'espoir que ce lieu soit plus propice au sommeil. Ce dernier tardant toujours à venir, je prends la plume.
Décidément, la vie est pleine de surprises. Nous voilà en Europe et cette vérité demeure. Nous pensions retrouver avec ce continent une certaine austérité, cheminer sur un tracé aussi bien rôdé que le réseau routier. Mais c'est avec régal que nous vivons chaque journée car nous savons qu'elle peut à chaque instant nous offrir l'impensable, ici aussi.
Le 2 avril, nous débarquons à Lisbonne. Nous y sommes accueillis par Daniela et Tiago, contactés par le biais de warmshower. La trentaine également, ils prévoient à leur tour de partir l'année prochaine pour un grand voyage. Ils nous offrent un atterrissage tout en douceur sur le vieux continent et nous prouvent que l'hospitalité n'est pas chasse gardée de l'Asie.
De la capitale, nous pensions pédaler jusqu'à Porto, mais notre route est attirée par un lieu plus à l'est, un lieu qui se nomme São Joaninho de Santa Comba Dão. Un échange de mails avec la Suisse et c'est le Portugal qui nous ouvre ses portes. Le Portugal, en la personne de Maria, la maman d’une amie. Elle nous accueille chez elle comme si elle nous y attendait depuis toujours. Elle parle portugais, je parle espagnol, quelques mots français glissent par-ci par-là, le corps complète la conversation et l'essentiel est dit. Le souper ressemble à un repas de fête, en compagnie de l'un des fils de Maria, de sa famille et d’une voisine parlant français. Le lendemain, nous vivons pleinement la douceur d'une journée de printemps dans ce petit village portugais.
Au nord de Bragance, seuls un panneau routier et le changement de langue nous confirment que nous venons d'entrer dans un nouveau pays. Cette simplicité en est presque décevante. A Puebla de Sanabria, nous envisageons un camping pour des questions...d'hygiène. Trop cher à notre goût, nous poursuivons. C'est alors qu'un cyclo-voyageur venant en sens inverse nous arrête.
« Eh ! Je vous reconnais ! Je vous ai vu sur Internet !
- Euh… et bien... peut-être faites-vous erreur ?
- Non non, je me rappelle très précisément ta tête, dit-il en me désignant. J'ai très envie de parler avec vous, allez, je vous invite au camping ! Et la tournée de bières est pour moi ! »
Nous faisons alors la connaissance de David, un Espagnol de quarante-sept ans, qui rêve de faire lui aussi un « Grand Tour » et qui, pour l'heure, rentre de Hollande où il a acheté son vélo. Il est avide d'expériences et d'avis sur les obstacles qu'il perçoit à la réalisation de son rêve, comme les visas, la sécurité et son âge. Le lendemain matin, avant de se quitter, il nous dit : « Peut-être ne vais-je pas tout de suite rentrer à la maison, poursuivre encore un peu mon voyage et qui sait... »
En remontant mon vélo à l'aéroport de Lisbonne, j'ai modifié légèrement la position de ma selle. Deux semaines plus tard, des lancées aiguës traversent mon genou gauche à chaque coup de pédale. Je repositionne ma selle comme auparavant et les douleurs disparaissent. En deux ans, mon corps s'est adapté à une position et tout changement rompt l'équilibre. Ceci est l'histoire d'un genou. Mais qu'en sera-t-il de nous-mêmes lorsque ce sera notre quotidien qu'il va falloir modifier ? 
A La Bañeza, en milieu d'après-midi, je m'arrête pour regarder la carte. Une voiture ralentit, un homme me demande : « Vous cherchez le refuge ? » « Non, non. » Quelques mètres plus loin, une femme nous arrête carrément :
« Vous avez mangé?
- ...
- Il y a un repas organisé par l'église au coin de la rue : riz, bacalao, oranges et biscuits. C'est offert et c'est pour tout le monde. Ensuite, le refuge est par là. 
- Le refuge...
- Le refuge des pèlerins de Compostelle, évidemment !
- Ah oui, évidemment ! »
Et la dame nous indique le chemin. Parfois, il y a des signes qui ne trompent pas. Je fais tout d'abord la queue avec ma gamelle dans l'enceinte d'une église où règne une bonne humeur bruyante. Un entretien avec le père responsable du lieu et nous obtenons l'autorisation de nous rendre au refuge bien que nous n'ayons pas le carnet du pèlerin.


Et c'est ainsi que nous nous retrouvons dans cette auberge en compagnie de trois autres voyageurs. Alors nous plongeons, le temps d'un instant, dans l'univers de ce célèbre pèlerinage. AG 17.04.04      


D'un bout à l'autre

31 mars, au travers du hublot, nos regards effleurent une dernière fois ces terres australes, ce bout du monde sud-américain. 4 avril, nous arrivons au bout du monde. Il pleut et la brume masque les falaises d'où provient le grondement des vagues. L'océan atlantique est là, s'étendant à l'infini, sans que l'on ne puisse en apercevoir ne serait-ce qu'une goutte. La grisaille locale nous aide à le comprendre. Il y a moins de 550 ans, le Cabo da Roca marquait la fin du monde connu. Plus à l'Ouest, seul l'imaginaire pouvait se l'offrir. Combien d'hommes et de femmes ont observé cette ligne entre deux bleus, les pieds rivés au sol ? Ce même sol où nos corps détrempés attendent on ne sait trop quoi. Là où l'Homme y voyait une fin, nous y voyons un début. Celui du chemin qui nous ramènera à la maison.OF 10.04.14


Feuille de papier

La feuille de papier se libère de mes doigts, venant s'étendre sur celles du passé. Personne ne l'a entendue mais pourtant elle résonne encore en moi. Les joies et les remords tourbillonnent dans mon esprit, volant encore la place aux regrets qu'offrent les lendemains un peu trop creux. La chaleur de mon prochain foyer me remplit d'un bonheur que je ne connais que trop bien, sous le nom de chimère. Croire à, quand on sait que... Il me faut cesser de modeler des jarres que je ne remplirai jamais et laisser les projets voler doucement la place aux rêves. Ce n'est pas en traître que je me vois mais en homme tributaire d'une certaine réalité, en sculpteur à court de matériaux.OF 03.04.14

Terre de Feu









Rêve ou réalité ?



Mes étagères d'enfance ont longtemps ressemblé à une banquise où des colonies entières de pingouins, de manchots pour être exacte, y ont niché bien des saisons. Année après année, ils sont devenus plus nombreux, la banquise a dû s'élargir. Peluche, tasse, mobile, porte-savon, statue, pendentif, carte postale ou poster. De porcelaine, en terre cuite, en marbre, en papier mâché ou en tissu... Et au milieu de cette colonie hétéroclite, invisible mais pourtant si présent : le rêve de pouvoir approcher un jour celui de chair et de plume.

Un murmure au loin, une information glanée dans un guide, des rumeurs de voyageurs : il y aurait des manchots sur notre route, en Patagonie et en Terre de Feu. Je préfère ne pas trop y croire, prémonition d'une trop évidente déception. Pourtant, lorsque nous approchons des lieux-dits, l'excitation bourgeonne. Peu avant Punta Arenas, nous nous apprêtons à prendre un petit chemin pour rejoindre une colonie de manchots de Magellan. Un détour de 60 km. face au vent ; mais pour des manchots, je suis prête à tout. J'arrête une voiture pour demander la direction. « Oui ma p'tite dame, c'est bien par là que se trouve la colonie, on en revient justement. Mais ils sont tous partis ! » « Pardon ??? » « Et bien oui, il n'en reste plus un seul, vous arrivez trop tard dans la saison. »
Il faut se rendre à l'évidence. Généralement, lorsque l'on parvient à un sommet, la vue est obstruée par une mer de nuages. Lorsque l'on se rend à un musée, il est justement fermé, en cours de rénovation ou déplacé. Les condors décollent et planent à côté de tous les autres cyclo-voyageurs alors que nous scrutons obstinément le ciel. Ainsi rien d'étonnant lorsque l'on s'approche enfin d'une colonie de manchots, à ce qu'elle ait précisément décidé de s'en aller ! 
Soit. Je ne verrai pas les manchots de Magellan. Mais... il y aurait, semble-t-il, une colonie de manchots royaux un peu plus loin, en Terre de Feu. Et eux, nous a-t-on dit, ne migrent pas ! Enfin, normalement... Des policiers nous ont indiqué comment atteindre les manchots, en toute légalité, sans passer par la case touristique d'un propriétaire terrien qui fait payer le droit de les voir. Nous entrons donc par la porte des artistes, celle qui mène au-devant de la scène, celle qui permet de côtoyer les stars de près. D'abord des silhouettes floues, au loin, sur la plage. Peut-être est-ce... Puis des formes qui se distinguent. Il n'y a plus de doute. Enfin, ils sont là, devant nous, à côté de nous, autour de nous. Ils s'affairent tout en nous observant du coin de leurs yeux sombres, et petit à petit s’apprivoisent. Alors, l’espace d’un instant, plus rien n'existe. Juste eux et nous. Un instant où rêve et réalité n’ont plus de frontière. AG 28.03.14


Solidarité internationale pour des données perdues


Il y plus d’une année, tout début novembre 2012, l’ordinateur emporté par nos cyclo-voyageurs refusait tout service. Janvier 2013, le dit ordinateur était rapatrié par mes soins en Suisse. Le Dr esPC Clive était appelé au chevet du malade, mais son verdict fût sans appel. Il n’y avait pas moyen de le réanimer sans faire appel à des spécialistes travaillant en salles blanches équipées de matériel  sophistiqué. Mais, avertit-il, les coûts pourraient être élevés. Les recherches entreprises montrèrent effectivement que l’opération se révélerait coûteuse et les résultats incertains. Une première entreprise a été contactée pour savoir si elle serait disposée à faire un geste commercial en faveur de nos voyageurs. Pas de réponse. Le temps passe et puis, fin 2013, je reprends mes recherches. Une première société entre en matière, mais son organisation chaotique me fait finalement renoncer. C’est finalement la société espagnole Aigon Data Recovery qui par l’intermédiaire de sa représentation à Genève prendra en charge le disque dur mal en point. Cette société accepte de faire le travail pour moitié prix. Il est précisé que la facturation n’interviendra que si le jeu en vaut la chandelle. Un premier rapport fait apparaître que certains fichiers son corrompus, mais que d’autres sont récupérables. Il s’agit alors de savoir si les fichiers photos et vidéos non encore sauvegardés font partie des récupérables. Il s’en suit une série d’échanges de mails avec Olivier d’un côté, la société Aigon de l’autre pour déterminer les chances de succès de l’opération. Finalement le feu vert est donné. Sous réserve d’un contrôle unitaire, ce sont 78 vidéos et 633 photos qui ont ainsi pu être sauvées. Au vu de ce résultat, la société AGAP Conseils, spécialisée dans l’assistance administrative aux entreprises, a décidé de sponsoriser le solde des frais résultant de cette opération. En effet, un tel voyage, c’est aussi en soi une vraie entreprise. Cette opération entre donc parfaitement dans sa sphère d’activité. Christian 01.04.14