Nos
affaires sont propres, rangées dans leur carton. Seule ma vieille plume de
voyageur traîne encore sur notre table. Elle me semble triste, dépourvue de
sens. Elle qui s'est remplie des meilleures encres, qui a gratté des papiers de
tous horizons. Refaisons équipe une dernière fois. Attaquons cette ultime
feuille de papier qui nous servira de testament. Ma gorge est serrée. Je
me sens perdu, alors que je suis chez moi. « Bien sûr que cela va ! »
Mais comment expliquer l'inexplicable ? Comment répondre à ces questions de
courtoisie qui n'attendent pas forcément de réponse ? Une amie de voyage nous a
offert une pensée amérindienne. Une pensée qui nous dit qu'après un long
trajet, il faut donner du temps à l'esprit pour qu'il puisse retrouver son
corps. Faudra-t-il que l'on attende les premières neiges ou cela sera-t-il plus
long encore ? Si l'enveloppe n'a pas vraiment changé, j'ai un peu peur que la
lettre soit différente : couverte de ratures, d'annotations dans la marge et de
post-scriptum. Mais plus troublant encore, je m'inquiète de son utilité dans un
monde de courrier électronique. Il ne nous faut pas céder mais « pousser »
à l'image de ces arbres de Patagonie : avec lenteur et dans le sens du vent. Il
nous faut nous souvenir de ces petits apprentissages qu'offre le voyage. Aujourd'hui, nous le
savons ! Que nos « mondes » soient petits ou grands, ils ont des
portes. Et ces portes, qu'elles soient petites ou grandes, ne sont jamais fermées
à clé. OF 27.06.2014
Administratus helveticus
Le 17 mai 2014 annonçait bel et bien la fin de notre voyage.
Mais plus encore, il était synonyme du début d'une nouvelle aventure : celle de
la réinsertion. Loin de nous l'idée de mettre les pieds au mur. Pour être sincère,
l'envie de réintégrer l'Helvétie ne nous laissait pas de marbre. A nous les
douches chaudes, les boissons rafraîchissantes et la literie aux senteurs de
lavande ! Mais s'intégrer ne rime pas avec profiter. C'est sur les chemins de
l'investissement personnel, de la patience et de la quiétude que l'on flirte avec
ce mot. Mais l’intégration, n'est-elle pas une douce illusion qui habille à
merveille ce terme violent qu'est l'assimilation ? Soyons honnêtes, notre petit
monde helvète fonctionne. Mais à quel prix ? Et je ne vous parle pas que
d'argent. Je ne suis rien, pas même un numéro, pas même « l'ombre de ta
main, l'ombre de ton chien. » Je vous épargnerai la complainte du voyageur
traumatisé par un système trop lourd, trop intrusif, trop indifférent. Je ne vous
balancerai pas non plus, avec nonchalance, ce sac d'anecdotes douteuses que
l'on collecte aux portes de nos chères administrations. Ce monde vous le
connaissez, vous l'habitez depuis bien longtemps ! Depuis trop longtemps ? On
se construit des jardins secrets pour édulcorer cette réalité. On plante des
graines de rêve et d'évasion que l'on arrose d'espoir. Si depuis le 17 mai, je
me suis armé d'un stylo et d'un téléphone portable, j'ai également ressorti ma
panoplie de jardinier. Et c'est peut-être là que réside le meilleur de notre
société... pouvoir venir et s'en aller.OF 23.06.14
De Communal à Vevey
Le 16 au
matin, nous quittons nos compagnons. Nous sommes tout chose car ça y est, cette
fois nous pouvons le dire : demain nous arrivons à la maison. Comme s'il
fallait le mériter pleinement, la bise s'est levée avec ardeur ce matin. Est-ce
l'excitation qui nous rend imperméables à ce vent contraire et nous pousse à la
chansonnette ? Ou le fait de savoir qu'il représente l'ultime effort de notre
voyage et que nous pouvons alors tout donner ? Une fois le col de la Faucille
derrière nous, nous plongeons dans le berceau du Léman; berceau qui est le nôtre
également. Se dressent alors, sous nos yeux, les Alpes et son Mont-Blanc. Le
voyage aura sans aucun doute éveillé en moi une sensibilité pour les montagnes
enneigées. Et c'est avec ce regard nouveau que je redécouvre celles qui nous
ont entourés durant tant d'années. Une fois le soir venu débute la série des « derniers »
: dernier souper, dernière fois que nous montons la tente, que nous installons
notre couche, dernière nuit du voyage... Le lendemain, cela se poursuit avec
d'autant plus d'intensité : dernière fois que nous plions la tente, que nous équipons
nos vélos... Dans la matinée, nous entrons sur sol suisse. Il s'en est fallu de
peu pour que nous loupions la frontière car, une fois encore, le lieu est désert.
Personne pour nous dire « Bienvenue en Suisse ! » A défaut de douanier,
ce sont de petits indices qui nous ont réservé un accueil chaleureux : les
plaques d'immatriculation, l'accent vaudois… Plus nous avançons, plus
l'environnement nous devient familier. Nous reconnaissons d'abord les noms,
puis les lieux, jusqu'à pouvoir les anticiper. « Dis, ça te va si on
pique-nique dans deux kilomètres, je connais un coin sympa. » Assis sur
les quais de Morges, le tableau qui se dessine devant nous semble presque irréel.
Le lac, les cygnes, un vieux bateau de la CGN, les montagnes à l'horizon...
Alors seulement, je réalise que l'idée que de nombreuses personnes, à travers le monde,se font de la Suisse n'est pas si erronée : un petit coin de paradis privilégié.
A Rivaz, nous nous arrêtons sur la plage pour laisser passer les minutes qui
nous séparent de l'heure du rendez-vous. Quinze heures quinze, allez, on y va !
La Pichette, La Crottaz, Corseaux-plage, Nestlé... encore un virage et nous déboucherons
sur la rue que nous avons quittée il y a deux ans, un mois et onze jours. Le cœur
s'emballe. Une silhouette, puis deux, puis tout un groupe de personnes sont là
devant nous. Les larmes s'en mêlent. Familles et amis sont venus nous
accueillir. A notre départ, ils nous regardaient nous en aller ici même, le
visage tourné vers l'Est. Deux ans, un demi-tour vers l'Ouest, et nous revoilà. AG 17.05.14
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