Une ligne qui serpente,
c'est notre route qui traverse la pampa. Ici tout manque, à commencer par
l'oxygène. Gentiment on s'habitue au rien, on fait de l'absence son
environnement, sa maison d'un temps. De l'aube au crépuscule, une même
luminosité nous brûle les yeux, nous forçant à nous réfugier derrière nos
lunettes aux verres teintés. Notre peau se tanne et se dessèche, mimant cette
terre qui nous entoure. Là, quelque chose ! Quel bonheur, un village se dessine
à l'horizon. D'abord quelques maisons, puis un bloc sombre d'une taille peu
commune pour ces plateaux d'altitude. Coup de pédale après coup de pédale,
cette masse grandit, s'allonge tout en affinant ses traits. Deux coupoles se dévoilent
à l'ombre d'un clocher. L'endroit nous intrigue. On ne peut le laisser
rejoindre notre passé, sans s'y intéresser ne serait-ce qu'un instant. Il faut
que l'on voie, que l'on comprenne la présence de cet édifice au milieu de ce
grand rien. En s'approchant, on se rend vite compte que nos questions resteront
sans réponse. Ici, il n'y a pas âme qui vive. Ici, nous entrons dans un de ces
villages fantômes, que la vie a abandonnés il y a bien des années. Dommage,
mais poussons jusqu'à l'église, ne serait-ce que pour la beauté du lieu.
Magnifique, une grande cour affublée de quatre petites bâtisses encercle la
maison de Dieu. Les bâtiments sont construits en pierre de taille et les toits
sont faits de tuiles en terre cuite. Un véritable bijou que notre guide papier
n'a pas semblé bon de recenser. Le clocher est curieusement posé à côté de l'édifice
et le temps, comme toujours, a su donner sa touche personnelle au lieu. Une pincée
d'authenticité et un soupçon de vécu. Une grande porte en bois massif bardée
d'un gros cadenas rouillé obstrue l'entrée. Cela ne nous décourage pas. A défaut
d'avoir la clé, nous avons du temps. Le temps de s'approprier les lieux et de
peut-être dénicher une entrée secondaire. La première tentative est un échec.
L'escalier extérieur qui donne accès à une petite porte à mi-hauteur de l'édifice
ne nous dévoilera que le triste tableau d'un vieil orgue poussiéreux aux tubes
défoncés. La seconde sera la bonne. Là, dans l'ombre d'un contrefort, une
petite porte semble ouverte. Entrons ! Quittant la lumière du jour, nous pénétrons
dans une minuscule antichambre où divers objets traînent au sol. Chandeliers,
chaises cassées, petite table branlante, se partagent le peu de place que d'épais
murs recouverts de chaux tachée leur laisse. Là, une seconde porte nous révèle
la pièce maîtresse du saint lieu. Obscure, seuls quelques rayons de soleil
filtrent au travers de la porte d'entrée. L'ambiance qui se dégage de cette pièce
est étrange, presque malsaine. D'immenses rondins bloquent la porte, rendant la
pièce encore plus mystérieuse. Petit à petit, mes yeux s'habituent à cette
obscurité, me révélant une scène peu commune. Face à moi, un fronton d'où des
angelots me contemplent. A leur côté, une vierge décapitée. Reculant d'un pas,
je bouscule un bougeoir en fer forgé, auquel des dizaines de crucifix ont
remplacé les coutumières bougies. Tout est sale. Des objets de culte jonchent
le sol et l'autel qui me font face. Mais que s'est-il passé ici ? « Olivier,
viens voir ! » C'est la voix d'Aline qui résonne du fond d'un couloir. Je
me hâte. Quel mystère cette église recèle-t-elle encore ? Derrière le lieu de
culte, une petite pièce des plus poussiéreuses. Assurément l'endroit
qu'utilisaient le curé et ses servants de messe pour se préparer. Là, le
spectacle me laisse sans voix. Je ne peux comprendre le sens de cette mise en
scène. Le bâtiment a sans nul doute plusieurs siècles et n'a plus été utilisé
depuis de nombreuses années. Mais dans cette arrière-salle dont les volets sont
maintenus fermés par des poutrelles, des guirlandes d'anniversaire
sont accrochées aux murs. Le lieu donne l'impression d'avoir été quitté à la hâte,
comme si quelque chose ou quelqu'un l'avait forcé. Aline en a assez vu, elle
regagne le soleil qui semble aujourd'hui si sécurisant. Je dois
comprendre ! Je ne peux quitter ce temple sans avoir ne serait-ce qu'une
once de compréhension supplémentaire. Je ne sais trop comment, je me retrouve
devant l'autel. Mes yeux glissent de la vierge sans tête aux crucifix de bois.
Tout retournera à la poussière nous disent les évangiles... Il y a quelque
chose qui cloche, quelque chose qui me demande de rester, mais quoi ? Un
frisson me parcourt l'échine et un sentiment étrange me gagne. J'ai
l'impression que les murs veulent me parler, se décharger d'un poids qu'ils
portent depuis trop longtemps. Mes yeux se fixent, attirés par ce qui me dérangeait,
il y a quelques minutes déjà. Sur l'autel, se trouvent quatre gobelets en
plastique. Ces mêmes gobelets que l'on trouve aux fêtes foraines ou aux
anniversaires. Mais ceux-là semblent étrangement attirer les mouches. Je
m'approche. Puis repoussé par le spectacle, je recule. Un liquide rougeâtre
goge à l'intérieur des récipients. Du sang ? Et là, ce n'est pas possible : un
bouquet de fleurs fraîches. Plus j'observe et plus j’aperçois d'objets qui me
laissent à penser que ce lieu macabre, ce lieu qui ne m'inspire que de la peur,
est encore utilisé. Mais qui peut-on adorer dans le noir, dans une telle saleté.
Quel dieu exige la décapitation d'une Sainte fixée à plus de cinq mètres du
sol ? A qui offre-t-on du sang en signe de soumission ? L'église comporte
une dernière pièce. Je n'aurai pas le courage d'aller voir. Si ce lieu cache un
secret, je ne me sens pas de taille à le découvrir. Il y a peut-être des choses
qu'il vaut mieux ne pas comprendre ! Je ressors et reçois le soleil comme
une délivrance. J'en ai assez vu. Et tout comme Aline, je me sens vidé de mon énergie.
En partant, mon attention est retenue par un dernier détail. Une guirlande de
crucifix, composée de brindilles de végétaux, est fixée à la porte en bois
massif, juste au dessus du gros cadenas rouillé. Je ne l'avais pas remarquée en
arrivant...
OF 29.09.13
Brrrrr Aline t'as bien eu raison de sortir!!! Plein de pensées encore et toujours... Tout les jours même! Bisous
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