Lorsque la communication n'est plus possible
avec les mots, le corps prend la relève. Persuadée de cela avant notre voyage,
je me rends compte à quel point c'est en vérité incorrect. Le langage des mains
est loin d'être commun à tout homme. Cette réalité nous a mis dans bien des
situations : parfois fâcheuses, parfois dépitantes, souvent
comiques.
Une situation que l'on rencontre quotidiennement
est celle de devoir demander combien coûte un produit. Fastoche, on sort les
mains et on s'y met ! Mais revenons un instant en Arménie. D'abord nous mimons
le signe de l’oseille avec nos doigts - comme si l'on caressait le bout de l’index
et du majeur avec le pouce. Vu le regard perplexe du vendeur, nous constatons
notre premier échec. Ensuite Olivier se tapote la fesse droite pour désigner le
porte-monnaie, c'est sans objection notre deuxième échec. Alors, nous sortons
le porte-monnaie, plus de malentendu possible ! Troisième échec. Nous
remarquerons plus tard que les Arméniens mettent l'argent directement dans les
poches latérales de leur pantalon.
Restons dans les calculs et prenons l'exemple
des chiffres. Sachez que dans bien des pays, le pouce compte pour beurre, sauf
si le chiffre est 5. Donc, lorsque vous demandez 3 paquets de biscuits, avec le
pouce, l'index et le majeur relevés, ne vous étonnez pas de ne recevoir que 2
paquets ! Si, à force, nous commençons à avoir l'habitude de ce pouce
ignoré, la gestuelle géorgienne reste une énigme. On prend tous ses doigts, on
les secoue, flexions, extensions, tournicoti, tournicoton, et stop, on ne bouge
plus ! Euh... alors là... est-ce que je dois faire une soustraction du majeur
plié à l'annulaire tendu et diviser par l'index à moitié fléchi ? Non, décidément,
mon brave, je ne te déchiffre
pas. Bon, ça c'est quand la notion de transcrire un chiffre avec ses
doigts est partagée. Parce que j'ai parfois l'impression de jouer aux
marionnettes lorsque j'agite mes doigts devant certains Indiens interloqués.
Dans la catégorie « situation fâcheuse »,
voici celle du pouce en Iran, celui qui signifie « OK » ou « super »
de par chez nous. Nous en avons usé à tour de bras pour dire « merci
beaucoup », « c'est super » ou « oui oui, c'est très bon »,
jusqu'à ce qu'on nous apprenne, après un mois et demi dans le pays, que faire
ce signe « est très mal ». Ce qu'il signifie exactement, nous ne le
savons pas, mais nous avons bien compris que c'était tout sauf courtois. Oups,
que de bavures ! Et dur de corriger le tir lorsque ce geste est devenu un
automatisme. Le pire dans tout ça est qu'une certaine partie des Iraniens sait
que les étrangers utilisent ce signe pour dire « super ». Ainsi, pour
faire preuve de son hospitalité, ils nous brandissent un pouce magnifique !
Alors là tu te dis « je souris ou je déguerpis » ?
La liste des différences gestuelles est encore
longue. Demander à une voiture de s'arrêter. Dessiner dans les airs un toit
pointu pour désigner une maison alors que toutes celles qui nous entourent
n'ont que des toits plats. Le geste « viens par ici » pour nous et
qui veut simplement dire « salut » pour d'autres. Le hochement de tête
indien, un intermédiaire entre notre oui et notre non que l'on ne sait pas où
classer... Pour illustrer à quel point le langage des mains est propre au pays
et à sa culture, prenons le thé. Autant de pays traversés, autant de manières
de le mimer. En Suisse, selon le langage des malentendants, on mime le trempage
du sachet dans la tasse pour dire « thé ». En Turquie, il faut
tourner vivement la cuillère comme pour mélanger l'amas de sucre au fond du
petit verre transparent. En Iran, il ne se dit pas car on ne parle que très peu
avec les mains. En Inde, on fait semblant de mener à sa bouche une soucoupe
puisque celle-ci a détrôné la tasse en guise de récipient.
Lorsque le langage des mains fait défaut, il
nous reste encore les expressions faciales. Enfin, c'était vrai avant d'arriver
en Inde. Ici, nous avons beau contorsionner nos frimousses pour exprimer la colère,
l'énervement, la fatigue, la surprise... nos interlocuteurs nous regardent, émerveillés,
sourire jusqu'aux oreilles ! Alors on vient à court d'idées... et on continue à
pédaler.
Autre moyen de communication, le dessin ou les
images. Nous avions reçu, avant de partir, un petit carnet rempli de photos, spécialement conçu pour
dialoguer. La question que je m'étais alors posée était : « Jusqu'où
ce langage visuel sera-t-il partagé ? » En Iran, notre première
adaptation fut requise : découper soigneusement la jolie femme de la rubrique
camping, en monokini sous la douche. Ensuite il faut réussir à faire comprendre
à notre interlocuteur que non, ceci n'est pas mon album de famille. Cela étant,
ce petit livret nous a permis de jolis moments d'échanges : le paysan iranien
qui passe en revue toutes les images et nous en apprend les mots en farsi, les
heures passées à comparer avec des Turcs quels produits alimentaires l'on a en
Suisse et lesquels on trouve dans leur pays, un garde-tunnel arménien qui
recherche les mots qui lui manquent pour compléter son discours...
Alors le langage universel... nous ne l'avons
pas encore trouvé. Si ce n'est qu'un sourire demeure partout un sourire. AG 13.02.13
Toujours beaucoup de plaisir à lire vos textes à tous deux, pleins de bon sens, de finesse et d'humour.
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