Une fois n'est pas
coutume, nous nous faisons réveiller, au plein milieu de la pampa, par le son
d'une radio. Puis une voix : « Buenos dias ! Son la siete ! » En résumé,
il est l'heure de vous lever ! Nous émergeons péniblement de nos songes. Un
coup d'oeil à la montre et l'on gémit. Mais non Monsieur, il n'est que 6h30...
Mais soit, que sa volonté soit faite. De toute manière, impossible de se
rendormir. L'homme entame une conversation en espagnol (en castellano pour être précise) et
il est déjà assez dur de la soutenir sans avoir une toile de tente interposée.
Nous sortons de notre nid et un vieil homme nous accueille dans la lumière du
jour naissant, avec un magnifique sourire et trois dents. De ce que je crois
comprendre, il nous invite chez lui, là-bas, derrière la colline.
« A votre
maison ?
- Non, non, venez
voir mon terrain, vous me direz si vous le trouvez beau.»
Étrange requête. Et
l'homme repart. Nous déjeunons pendant que la tente dégivre. Ensuite nous
coupons à travers champs et suivons les indications du vieillard. Nous débouchons
sur un village clairsemé de petits lotissements éloignés les uns des autres.
Bon. Et notre homme dans tout ça ? Une personne vient vers nous, se présente
comme étant le chef du village et nous convie à sa demeure. Chemin faisant, il
nous dit naturellement :
« Vous pourrez
prendre des photos et vous donnerez un peu d'argent.
Stop net.
- Pardon ? Nous
devons payer pour prendre des photos ?
- Oui oui, vous
donnez combien vous voulez.
- Ah non Monsieur,
nous ne payons pas pour des photos. »
Je le laisse
ensuite décider si son invitation résiste à cette évidence. « Allez,
venez. » Nous le suivons. S'en suit une série de clichés dictés : lui
avec son énorme taureau, lui avec ses jumeaux de six ans (avant-derniers d'une
fratrie de dix), lui avec son petit veau, et... lui avec le tas de bouse ?! Euh
non, on va s'arrêter là avec les photos s'il vous plaît. Après encore quelques
mots échangés, nous prenons congé de la famille et rebroussons chemin, le cœur
un peu triste et déçu de cette rencontre intéressée. Prêts à reprendre la
route, nous voyons au coin de la rue se dresser notre vieillard. C'est tout
naturellement que nous le suivons. Nous arrivons à sa maison où il nous faut
laisser les vélos car le chemin grimpe ensuite en haut d'une colline. Quelques
mètres plus loin nous arrivons sur un plateau. Nous restons bouche bée devant
le paysage surréaliste qui se dessine devant nous : au loin le volcan Sajama
devant lequel s'érige une chaîne de montagnes rouges. A nos pieds, le vide et
les falaises érodées par les vents, qui servent de terriers aux lapins
sauvages. Deux perdrix blanches volent au-dessous de nous et au-dessus d'une
plaine verte fendue par les lits de rivières aujourd'hui asséchées. Voilà,
c'est mon terrain. Ainsi l'homme vit dans cette plaine trois mois par année, le
reste du temps, il le passe dans la maison que l'on vient de voir. Lorsque je
lui traduis l'exclamation d'Olivier : « C'est le plus beau paysage que
nous ayons vu en Bolivie ! », les mots lui manquent pour exprimer sa
satisfaction. Mais son regard et ses gestes traduisent les paroles imprononcées.
Nous revenons vers sa demeure. C'est alors avec émotion que je lui offre à mon
tour un bout de chez nous : une carte postale de Vevey et du Léman. Et c'est
avec le cœur qu'il la reçoit. Nous le laissons ensuite avec sa famille
venue nombreuse de La Paz ce matin pour l'aider à semer la quinoa. Alors
nous repartons remplis de l'énergie et de la beauté de cet échange sincère.
AG 21.10.13
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire