Il
est 6h15, seuls les yeux d'Olivier dépassent de son sac de couchage ; lui aussi
est réveillé. Pourtant, d'un accord silencieux, nous convenons qu'il n'est pas
encore temps de se lever. Il fait trop froid. Il manque les quelques degrés
supplémentaires du soleil matinal pour oser sortir un bras, puis l'autre, puis
le corps entier de notre cocon de chaleur. J'en profite pour prendre la plume.
Le
9 octobre, c'est sans aucun regret que nous quittons Copacabana, ses
restaurants occidentaux, ses stands de souvenirs et ses touristes. Au moins, sa
plage aura permis à Olivier d'ajouter à la liste de ses conquêtes le lac
Titicaca. Quelques kilomètres nous mènent à la frontière bolivo-péruvienne. En
deux coups de tampon, nous voilà au Pérou avec soixante jours à disposition.
C'est tout ? Pas de contrôle avec Interpol ? Soit. Un seul jour nous suffira pour
parcourir les kilomètres qui nous séparent de la seconde frontière. Trop court
interlude péruvien pour faire vraiment connaissance avec ce pays. Nous saurons
simplement que la fanfare semble y être de meilleure qualité que chez son
voisin, que les trois-roues aux allures futuristes ont envahi les routes et que
le cochon d'Inde ne se prépare que le dimanche ou les jours de fête. A
Desaguadero, nous repénétrons sur le territoire bolivien. Tiwanaku et sa porte
du soleil étant sur notre passage, nous y ferons une brève halte, le temps
d'admirer à quel point graveurs, peintres, dessinateurs et autres conteurs ont
fait de ce lieu une réalité qui échappe à l'oeil nu.
Après
tant de jours à se royaumer sur l'Altiplano, nous plongeons au coeur même de la
Paz et passons, en quelques minutes, de plus de 4’000 à 3’200 mètres
d'altitude. Nous y découvrons la casa de ciclistas : un appartement où vit
une communauté sans cesse en évolution de cyclo-voyageurs. Jour après jour, les
gens arrivent et repartent. Une salle de bain, une cuisine, un salon et une
chambre où étendre son matelas. Mais surtout beaucoup d'échanges, d'anecdotes,
de conseils, d'informations, de projets et de rêves. Notre projet à nous :
sortir de la Paz par la Vallée de la Lune. Le matin du départ, autour de notre
tasse de thé et de notre bout de pain, nous vacillons. Cette vallée, c'est
l'histoire d'une aventure où l'on ne sait pas si les routes existent et où le dénivelé
promet d'être important. Cette histoire, nous ne sommes plus certains de
vouloir en être les protagonistes. Car nous savons que la route est encore
longue et rude en Bolivie. Car le temps passe. Alors non. Changement d'itinéraire.
Cap sur la région du volcan de Sajama, là où un jour, sur un bateau, nous
avions projeté de passer. Région que la réalité du terrain nous avait fait
contourner. N'est-ce pas cela aussi le joyau d'un tel voyage ? Changer de plan
au dernier instant et ne déplaire à personne ? Etre maître de sa route et
pourtant se laisser surprendre par celle qui se dessine jour après jour ?
La
route qui finalement prend forme est somptueuse. Quelqu'un a dit un jour
qu'elle était la plus belle de Bolivie. Il se peut bien. Trois jours durant,
nous avançons avec le Sajama comme boussole. Une fois à ses pieds, heureux
d'avoir enfin fait sa connaissance, nous décidons qu'il est temps de lui
tourner le dos et d'orienter notre cap au sud. Hardis, confiants et optimistes,
nous nous élançons sur une piste qui devrait nous mener finalement à Sabaya,
quelques 150 km. plus au sud. La carte le dit, alors soit ! Premier village,
première bifurcation. Je demande notre chemin à un homme qui me fait grimper
sur une butte pour apercevoir au loin, tout au loin, un trait blanc au milieu
de la pampa. Là est notre chemin. « A la sortie du village, il vous faut
tourner à droite, là où il y a les lamas.» Bien. Nous faisons quelques courses,
sortons du village : les lamas sont partis... Il y a bien un semblant de piste,
là, qui s'enfonce dans la pampa... mais était-ce là ou plus loin ? Un regard en
arrière, plus personne à l'horizon. Peut-être là. Finalement probablement pas.
Mais nous avons retrouvé la bonne piste le lendemain. Une chose est sûre, nous
avons définitivement quitté les routes asphaltées, les panneaux routiers et la circulation.
Nous sommes seuls au milieu de cette immensité et pourtant il y a toujours une
personne là où la piste se scinde et laisse place au doute. Nous apprenons un
mot. Arena.
Sable. Je découvre une réalité : il y a pire que le vent de face. Il y a la
piste ensablée dans laquelle il faut tirer et traîner le vélo qui refuse
d'avancer. Un âne braqué serait plus docile. Et la technique du bâton et de la
carotte, avec un vélo, vous pouvez toujours essayer ! De toute manière,
carottes et végétaux en général ne font pas partie des denrées que l'on trouve
dans les minuscules échoppes des villages. Biscuits, sodas et oeufs, voilà
tout. Quand, après trois jours de pistes à l'état variable, nous rejoignons la
route que nous avions presque abandonné l'espoir de retrouver, nous exultons de
joie. Oh non, ce n'est ni de l'asphalte ni du béton. Simplement de la terre
tassée, parsemée de pierres et de tôles ondulées. Mais ô miracle ! nos vélos
roulent lorsque l'on donne un coup de pédale ! Bonheur absolu ! Il nous reste
encore 60 km. de cette route pour atteindre Sabaya. Sabaya... où nous étions
passés un 27 septembre... Etrange sensation que de connaître le lieu où nous
allons arriver...
Voilà,
sur la porte de notre habitacle une petite lucarne de lumière est projetée. Le
soleil s'est levé, nous allons en faire autant. Une nouvelle journée commence.
. AG 20.10.13
3810 mètre, ma plus haute baignade |
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