26 lettres pour voyager


Amour, c’est peut-être la plus belle raison de voyager. A la question « Pourquoi pars-tu ? », il existe mille et une réponses. A celle « Pourquoi ne rentres-tu pas ? », il n’en existe qu'une : l'amour du voyage. Le voyageur au long cours le sait : le voyage est une sirène enchanteresse et séduisante. Difficile donc de résister à son chant, de ne pas répondre à son appel. Le flirt n'est guère possible avec le voyage. Aidé du temps, il fait tomber les masques que l'on se réserve. Se duper est donc inutile. Le voyage est une femme de caractère que l'on aime ou que l'on quitte.

Biscuits, aliments de base du cavalier à deux roues. Pratique, peu cher et vendu aux quatre coins du globe, le biscuit est aux cyclo-voyageurs ce que la croquette est aux canidés. Parlant de quadrupèdes, j'ai parfois bien cru à des erreurs de packaging. Si l'emballage fait partie des traîtres, le biscuit, lui, est fidèle. Europe, Asie, Amérique latine, on le trouve partout et c'est bien ce qui fait défaut au pain. Le bilan est donc clair : sur cette planète on se fait plus facilement des « cobiscuits » que des copains.

Cornet pipi, voilà assurément l'objet le plus hétéroclite que l'on trimbale dans nos sacoches. Cela ne s'achète pas mais s'invente un jour de pluie. « Il pleut, il pleut bergère, rentre tes blancs moutons... » Conseil des plus avisés ! Un expert n'aurait pas mieux dit ! Mais la chanson ne nous dit pas ce que font ces blancs moutons lorsque l'envie de se soulager les prend. On imagine ! Difficile de confondre une tente avec une bergerie. On ne peut donc uriner à l'intérieur. Et pourquoi pas ? Un sac plastique comme toilettes et un deuxième pour transporter le premier. Le cornet pipi est inventé. Et pour ceux que cela pourrait dégoûter, sachez qu'on a le même depuis la Suisse !

Douche, passage obligé de la journée, moment désiré de la semaine. La douche fait partie, lorsque l'on voyage, de ces « communs » qui deviennent des « tant attendus ». Elle a cette petite chose en plus qui fait briller les yeux du cyclo-voyageur. Une douche et nous voilà dix ans plus jeunes. Une douche et voilà notre peau d'éléphant troquée contre celle d'un nouveau-né. Si on oublie vite que l'on a pris une douche, on remarque par contre quand on n'en a plus pris depuis longtemps. La moiteur de l'entre-jambe, le cuir chevelu qui démange, cette peau qui semble humide depuis toujours. L'entourage le sait aussi mais rares sont les remarques. Les « mal-douchés », il y  en a partout le long des routes. L'eau chaude, un mythe ou une douce illusion que le temps estompe trop rapidement. Il faut s'y faire ! La douche en voyage est rarement un moment de détente, mais reste toujours un plaisir.

Eau, peut-être le mot que le cyclo-voyageur connaît dans le plus grand nombre de langues : eau, agua, water, ujë, wasser, води, ,, voda, νερό, acqua, su... Les alchimistes l'avaient placé dans leur quatuor de base. Elle est au cœur de tout voyage. On la consomme, on l'admire, on l'écoute, on la savoure, on l'utilise, on l'apprécie, on l'achète, on la reçoit, on l'offre, on l'attend, on l'emporte, on la partage, on la cherche, on la trouve, on la purifie, on la bout, on la chante, on la bénit, on l'adore, on la souhaite, on l'espère, on l'aime, on l'agrémente, on la met en bouteille, on l'explore, on la parcourt, on la transforme, on en rêve, on en salive, on en redemande... Mais avant tout, on se doit de la respecter. Une planète bleue qui n'a plus de larmes ou quand mettre de l'eau dans son vin ne sera plus une métaphore, mais un luxe qu'on ne pourra plus s'offrir.

Fatigue… ou quand l'envie de dormir surpasse celle d'écrire...

Grand, un détail de taille lorsque l'on emprunte les routes de notre planète. Satisfait de mes 184 cm, je relativise suivant la latitude. Il est incontestable qu'avec une taille pareille, je peux m'inscrire à n'importe quel casting pour la prochaine version de Blanche-Neige et les sept nains, en terre nord-américaine. Et ce ne sera pas la place du prince charmant que je peux espérer obtenir. Par contre, une fois en Asie ou en Amérique latine, ce sont les plus « grands » rôles qui m'attendent. Goliath, dans le remake du « Premier Testament », le Cyclope dans la nouvelle version de « L'Odysée », le rôle du condamné à mort, dans la version asiatique de « La ligne verte ». Mais attention, si faire la star sur ces continents peut sembler chose aisée, elle comporte quelques risques. Très vite, vous tutoierez les traverses de cadre de porte, la charpente des maisons et les plafonds des toilettes. Vous pourrez également vous gratter pour trouver des chaussures pointure quarante-quatre, un lit à votre mesure ou une place confortable dans un bus long-courrier.

Horizon, dès les premiers jours tu étais là. Comme un animal craintif, tu t'adaptes au terrain. Tu te trouves loin au fond des plaines. Tu te rapproches en montagne. Tu te caches dans le brouillard. Chaque matin nous nous levons dans l'espoir de te rejoindre. Nous forçons sur nos montures pour te voir disparaître dans la douceur de la nuit. Armés de notre courage, nous te traquons au-delà des mers, te traçons au-delà de nos peines. Aujourd'hui, nous le savons, nous sommes devenus des chasseurs d'horizon.

Insectes, six pattes, deux paires d'ailes, un corps en trois parties... et cent mille enquiquinements. L'insecte fait partie intégrante du voyage. Pour le meilleur et pour le pire, comme le veut la formule. L'insecte est partout : tente, sacs de couchage, « sacoche nourriture », vélos, habits, cheveux... Il est passé maître dans l'art de coloniser le matériel du cyclo-voyageur tout comme le cyclo-voyageur lui-même. Vampirisé, suçoté, habité, le « mal-douché » est un véritable garde-manger pour ces petites bêtes opportunistes, un luxueux palace au prix symbolique. Il faut s'y faire... ou il faut se les faire ! Pas d'échappatoire possible. Soit on s'arme de patience, soit on s’arme tout court... Casquette, bouquin ou à main nue, rien n'échappe à ce sanglant et inégal combat, à deux contre mille.

J'arrête quand je veux ! Une promesse plus facile à tenir pour un fumeur que pour un cyclo-voyageur.

Kiwi, un mot simple et amusant. Un mot auquel nous associons tous une image, donnons une définition. Pour certains, cela sera un fruit mûr mélangeant l'acidité au sucré. Pour d'autres, un maladroit volatile au bec sans fin. Certains y verront peut-être même un peuple vibrant au rythme du rugby. Plus j'y pense et plus j'y crois, la vie est un kiwi que le voyage aide à comprendre. Un joyau qui se conjugue non pas au singulier, mais au pluriel.

Lune. La Juliette de Shakespeare voyait en cet astre une inconstante que l'on ne peut comparer à l'amour. Moi, j'y vois un pilier fort qui relie le voyageur à ceux qu'il aime. Cette pensée, je la dois à ma maman qui, habituée à me voir partir, m'a dit un jour : « Le soir, si tu regardes la lune, je saurai que l'on contemple la même chose au même moment. Et cela me donnera l'impression que tu es un peu moins loin de moi. » Aujourd'hui, je me surprends parfois à errer sur la planète de Pierrot, à observer ce grand lapin, le coeur serré. La lune me rappelle que des gens m'aiment et attendent mon retour. La lune est et restera mon plus grand soleil.

Mail, quelques clics et nous voilà informés. Déclarations d'impôts, naissances, petits bonjours ou véritables romans, la communication n'a plus de frontière. Le temps s'efface devant le maître mail. Je me souviens d'une lettre écrite par l'un des deux hommes qui a conquis l'Annapurna en 1950. Un écrit qui relatait leur aventure et l'insolite voyage d'un de leurs porteurs, qui avait été envoyé à la poste de Delhi pour s'informer d'un éventuel courrier. Proche de Katmandou, il lui avait fallu parcourir des centaines de kilomètres pour une hypothétique lettre. Bip : « Vous avez un nouveau message ». Mail, forum, réseaux sociaux, GPS, carte de crédit, smartphone, ordinateur portable, altimètre, station météo de poche, panneau solaire. Les années ont passé et la façon de voyager s'est modifiée. Voyage-t-on mieux aujourd'hui ? Je manque de recul pour statuer.

Naufrage. Il n'y a pas qu'en mer que l'on peut faire naufrage. Le voyage compte aussi son lot de naufragés. Je ne sais trop pourquoi mais il arrive que l'on se perde sur les sentiers du monde. Errer est le terme. Aller de l'avant sans plus savoir pourquoi. S'arrêter dans un village et ne plus en repartir. S'il n'y a pas vraiment de lieu propre au naufrage du voyageur, certains sont tout de même reconnus pour être de véritables « Cap Horn ». L'Inde en est le maître, pays où des dizaines et des dizaines de voyageurs déambulent sans le sou, ayant laissé leur identité au coin d'une rue. Le temps a perdu sa mesure et les questions n'ont plus de sens. Plus vraiment des voyageurs et assurément pas des autochtones, ils flottent entre deux mondes, comme des âmes en peine.

Oui, c'est la réponse que je donnerais à Aline si elle me demandait de repartir avec elle faire « le Tour ».

Pont : « Ouvrage par lequel une voie de circulation, un aqueduc, une conduite franchit un cours d'eau, un bras de mer, une dépression ou une voie de circulation» (Larousse). Ces édifices sont bien plus, pour le cyclo-voyageur, que de simples voies de circulation. Ils sont comme l'oasis pour le bédouin, sécurisants et réconfortants en même temps. Qu'importe leur taille ! Par beau temps, ils se transforment en parasol, offrant cette ombre si rare quand l'Astre est au zénith. Par temps pluvieux, ils deviennent toits. Oh ! comme il est agréable de savoir que l'on pourra cuisiner et dormir là où la pluie ne peut aller. Le pont est protecteur. Il nous cache, nous dissimule des regards indiscrets. Quand le camping sauvage est interdit ou que la région semble peu sûre, le pont nous protège comme la poule le ferait avec ses poussins. Le pont peut également être lieu de mort. Grand nombre d'animaux viennent y terminer leur vie. Mais il est aussi lieu de vie, où poissons, batraciens et oiseaux aiment à se prélasser à l'ombre de ce géant de pierre et d'acier.

Questionnement, un état que le « noir ou blanc » satisfait rarement. Un chemin qui, en s'explorant, s'étale tel un delta. La simplification est rarement une réponse mais un bouchon gardant précieusement l'ivresse du savoir. Pourquoi certains se perdent-ils dans ce labyrinthe fractal alors que d'autres n'en connaissent pas l'existence ? Y a-t-il une sortie ou le jeu consiste-t-il simplement à parcourir ses entrailles avec, qui sait, deux ou trois jardins pour s'y reposer ?

Réparation. « Qui veut aller loin ménage sa monture. » Qui va loin doit savoir la réparer ! L'usure du temps ne se lit pas seulement sur le visage de celui qui voyage ; il s'observe également sur son équipement. Ce n'est pas le nombre d'accrocs qui fait le voyageur mais le nombre de tacons. Ce n'est pas le nombre de pièces neuves qui fait le cyclo-voyageur mais la couleur de ses mains. Un proverbe bouddhiste dit : « S'il n'y a pas de solution, c'est qu'il n'y a pas de problème. » Un outil essentiel pour le voyageur au long cours. Un outil que l'on retrouve dans toutes les « trousses » de ceux qui croient en eux.

Sourire. Le cyclo-voyageur transporte une multitude de clés dans ses sacoches : une clé à molette, une clé de 5, de 12, de 13 et de 14, deux clés de cadenas, des clés imbus et pour certains, quelques clés USB. Elles peuvent toutes se prêter, se donner ou se perdre et n'ont que peu d’impact sur le cours d'un voyage. Il y a une clé que l'on reçoit à la naissance, une clé unique qui nous rend beau, qui nous rend bon. Cette dernière ouvre plus de portes qu'un voleur ne peut en fracturer. Elle s'offre sans raison et contente petits et grands. Cette clé est le sourire qui accompagne à merveille la clé des champs.

Temps, voyage, petite parenthèse dans ce monde qui en demande tant et qui en donne si peu. Ce tableau est-il vraiment la réalité ou seulement celle que l'on se peint jour après jour. Le temps est en soi une chose bien simple mais sa gestion semble si compliquée. Avoir du temps est un luxe, ne pas en avoir fait sérieux, en avoir trop rend marginal. Mais avoir du temps, n'est-ce pas simplement une question de choix ? Des choix qui nous mènent vers l'être ou l'avoir ?

Une carte postale. Singulier objet qui rassure, paradoxe à deux faces. J'ai reçu une carte postale, j'ai donc un ami. J'ai envoyé une carte postale, j'ai donc un ami... enfin, je crois. Il est tellement plaisant de découvrir cette petite touche de couleur en relevant son courrier. Mais tellement astreignant de s’atteler à sa rédaction. Notre bonheur est-il plus important que celui des autres ? C'est pourtant cela recevoir une carte postale. Soixante secondes de plaisir pour dix minutes de calvaire. Nous, nous y avons trouvé une toute autre utilité. Faire découvrir notre pays aux personnes que l’on croise. « Une image vaut mieux qu'un beau discours. » Des images, on en a plein : Château de Chillon, ville de Vevey, vignoble de Lavaux, glacier d'Aletsch, bateau de la CGN, Dents du Midi... Petits ambassadeurs à deux roues, nous faisons découvrir la neige aux habitants des déserts, les châteaux à ceux qui n'ont jamais vu de maisons en pierre. Les questions fusent et divergent mais à chaque fois les sourires naissent et les yeux brillent. Et ça, sans même les écrire.

Vevey, nid d’où nous avons pris notre envol pour une destination incertaine. Première d'une liste plus longue que le nombre de jours qu'il y a dans deux années. Les villes, à l'image de l'homme, sont uniques. Véritables joyaux ou taudis nauséabonds, les villes ne nous ont jamais laissés indifférents. Peurs, rires, larmes, elles sont créatrices de sentiments que le temps transforme. Oasis ou passage obligé, nos sourires se dessinent tantôt à l'entrée, tantôt à la sortie de ces agglomérations. Certaines sont de véritables trésors, d'autres ne sont pour nous que des « banques » où l'on se réapprovisionne. Sans ville, notre voyage ne serait possible. Et c'est d'une manière bien ingrate que nous les considérons. La ville transforme les hommes, leur donnant un sentiment de force, d'invulnérabilité, une bêtise que n'égale que l'oubli de Celle qui nous a tous vu grandir.

WC, ou l'endroit idéal pour vous parler de la petite commission. Un sujet souvent étalé sur le papier mais rarement à l'aide d'une plume. Un acte d'une telle singularité que l'on n'ose en parler. Tabous, tout à l’égout. Loin du qu’en-dira-t-on, c'est sans gant que j'attaque le morceau. Le roi est comme l'étron, il se pose sur le trône. Si tout le monde sait ce qu'est un roi, peu d'entre nous ont déjà « bûché » sur un trône. C'est que cette chose qui nous est si naturelle est loin d'être universelle. Intimité, papier et silence, le trio gagnant pour qui veut se soulager. Un trio malmené pour qui veut voyager. Je pourrais vous parler de ces Boliviennes qui se soulagent sans même relever leur robe. Je pourrais vous parler de ces Indiennes qui nous font voir la lune au milieu du jour. Je pourrais vous parler de ces milliers d'hommes et de femmes qui s'essuient avec la main. Je pourrais vous parler de ces petits culs blancs qui s'enferment dans des pièces, s'efforçant de ne faire aucun bruit et aimant bouquiner une fois les intestins purgés. Je pourrais vous parler... mais excusez ! Là, il me faut y aller.

X est égal à... Le voyage est semblable à X. Un éternel inconnu que l'on cherche à comprendre. La formule peut varier mais semble toujours assez simple au départ. On la travaille et on la retravaille. Plus on avance et plus de facteurs entrent en ligne de compte. On s'obstine, on simplifie, on fractionne. De quelques caractères, on arrive à une page entière. Si le voyage est semblable à X, il ne se calcule par contre pas. Il se vit et c'est peut-être dans ses inconnues que l'on y trouve nos réponses.

Yeti, un rêve d'enfant. Un abominable homme des neiges qui m'ouvrit les portes du questionnement. Est-il possible que... Par manque de connaissance et parfois de temps, le « non » revenait souvent en réponse. Mais le savoir, n'est-il pas comme le monde, rempli de chemins ? Chemins qu'il faut emprunter soi-même pour y découvrir la vérité. Aujourd'hui, je le sais. Le yeti existe ! Peut-être sur les pans enneigés de l'Himalaya, assurément dans les croyances de ces peuples qui tutoient les étoiles.

Zorro en castillan, renard en français. Vivant entre piste et asphalte, nous avons rapidement compris que le goupil, ainsi que ses frères à poils, à plumes et à écailles, feraient partie de notre voyage. Jamais hostiles, souvent curieux. Nous avons fait de ces scènes quotidiennes de véritables instants de bonheur. Qu'il pleuve ou qu'il vente, nous ne pouvons nous lasser de ces petits moments que la nature nous offre. Ballets de dauphins joueurs, envol d'un papillon azur, regard béat d'un dromadaire, lenteur du pas de l'éléphant... Comment ne pas succomber ? Mais surtout, comment le faire connaître, le partager, pour qu'il ne disparaisse, emporté dans la frénésie humaine.OF 19.04.14

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