Amour, c’est peut-être la plus belle
raison de voyager. A la question « Pourquoi pars-tu ? », il existe
mille et une réponses. A celle « Pourquoi ne rentres-tu pas ? », il
n’en existe qu'une : l'amour du voyage. Le voyageur au long cours le
sait : le voyage est une sirène enchanteresse et séduisante. Difficile
donc de résister à son chant, de ne pas répondre à son appel. Le flirt n'est guère
possible avec le voyage. Aidé du temps, il fait tomber les masques que l'on se
réserve. Se duper est donc inutile. Le voyage est une femme de caractère que
l'on aime ou que l'on quitte.
Biscuits, aliments de base du cavalier à
deux roues. Pratique, peu cher et vendu aux quatre coins du globe, le biscuit
est aux cyclo-voyageurs ce que la croquette est aux canidés. Parlant de quadrupèdes,
j'ai parfois bien cru à des erreurs de packaging. Si l'emballage fait partie
des traîtres, le biscuit, lui, est fidèle. Europe, Asie, Amérique latine, on le
trouve partout et c'est bien ce qui fait défaut au pain. Le bilan est donc
clair : sur cette planète on se fait plus facilement des « cobiscuits »
que des copains.
Cornet pipi, voilà assurément l'objet le plus
hétéroclite que l'on trimbale dans nos sacoches. Cela ne s'achète pas mais
s'invente un jour de pluie. « Il pleut, il pleut bergère, rentre tes
blancs moutons... » Conseil des plus avisés ! Un expert n'aurait pas mieux dit
! Mais la chanson ne nous dit pas ce que font ces blancs moutons lorsque
l'envie de se soulager les prend. On imagine ! Difficile de confondre une tente
avec une bergerie. On ne peut donc uriner à l'intérieur. Et pourquoi pas ? Un
sac plastique comme toilettes et un deuxième pour transporter le premier. Le
cornet pipi est inventé. Et pour ceux que cela pourrait dégoûter, sachez qu'on
a le même depuis la Suisse !
Douche, passage obligé de la journée,
moment désiré de la semaine. La douche fait partie, lorsque l'on voyage, de ces
« communs » qui deviennent des « tant attendus ». Elle a
cette petite chose en plus qui fait briller les yeux du cyclo-voyageur. Une
douche et nous voilà dix ans plus jeunes. Une douche et voilà notre peau d'éléphant
troquée contre celle d'un nouveau-né. Si on oublie vite que l'on a pris une
douche, on remarque par contre quand on n'en a plus pris depuis longtemps. La
moiteur de l'entre-jambe, le cuir chevelu qui démange, cette peau qui semble
humide depuis toujours. L'entourage le sait aussi mais rares sont les
remarques. Les « mal-douchés », il y en a partout le long des
routes. L'eau chaude, un mythe ou une douce illusion que le temps estompe trop
rapidement. Il faut s'y faire ! La douche en voyage est rarement un moment
de détente, mais reste toujours un plaisir.
Eau, peut-être le mot que le
cyclo-voyageur connaît dans le plus grand nombre de langues : eau, agua, water,
ujë, wasser, води, 水,물,
voda, νερό, acqua, su... Les alchimistes
l'avaient placé dans leur quatuor de base. Elle est au cœur de tout voyage. On
la consomme, on l'admire, on l'écoute, on la savoure, on l'utilise, on l'apprécie,
on l'achète, on la reçoit, on l'offre, on l'attend, on l'emporte, on la
partage, on la cherche, on la trouve, on la purifie, on la bout, on la chante,
on la bénit, on l'adore, on la souhaite, on l'espère, on l'aime, on l'agrémente,
on la met en bouteille, on l'explore, on la parcourt, on la transforme, on en rêve,
on en salive, on en redemande... Mais avant tout, on se doit de la respecter.
Une planète bleue qui n'a plus de larmes ou quand mettre de l'eau dans son vin
ne sera plus une métaphore, mais un luxe qu'on ne pourra plus s'offrir.
Fatigue… ou quand l'envie de dormir
surpasse celle d'écrire...
Grand, un détail de taille lorsque l'on
emprunte les routes de notre planète. Satisfait de mes 184 cm, je relativise
suivant la latitude. Il est incontestable qu'avec une taille pareille, je peux
m'inscrire à n'importe quel casting pour la prochaine version de Blanche-Neige
et les sept nains, en terre nord-américaine. Et ce ne sera pas la place du
prince charmant que je peux espérer obtenir. Par contre, une fois en Asie ou en
Amérique latine, ce sont les plus « grands » rôles qui m'attendent.
Goliath, dans le remake du « Premier Testament », le Cyclope dans la
nouvelle version de « L'Odysée », le rôle du condamné à mort, dans la
version asiatique de « La ligne verte ». Mais attention, si faire la
star sur ces continents peut sembler chose aisée, elle comporte quelques
risques. Très vite, vous tutoierez les traverses de cadre de porte, la
charpente des maisons et les plafonds des toilettes. Vous pourrez également
vous gratter pour trouver des chaussures pointure quarante-quatre, un lit à
votre mesure ou une place confortable dans un bus long-courrier.
Horizon, dès les premiers jours tu étais
là. Comme un animal craintif, tu t'adaptes au terrain. Tu te trouves loin au
fond des plaines. Tu te rapproches en montagne. Tu te caches dans le
brouillard. Chaque matin nous nous levons dans l'espoir de te rejoindre. Nous
forçons sur nos montures pour te voir disparaître dans la douceur de la nuit.
Armés de notre courage, nous te traquons au-delà des mers, te traçons au-delà
de nos peines. Aujourd'hui, nous le savons, nous sommes devenus des chasseurs
d'horizon.
Insectes, six pattes, deux paires d'ailes,
un corps en trois parties... et cent mille enquiquinements. L'insecte fait
partie intégrante du voyage. Pour le meilleur et pour le pire, comme le veut la
formule. L'insecte est partout : tente, sacs de couchage, « sacoche
nourriture », vélos, habits, cheveux... Il est passé maître dans l'art de
coloniser le matériel du cyclo-voyageur tout comme le cyclo-voyageur lui-même.
Vampirisé, suçoté, habité, le « mal-douché » est un véritable
garde-manger pour ces petites bêtes opportunistes, un luxueux palace au prix
symbolique. Il faut s'y faire... ou il faut se les faire ! Pas d'échappatoire
possible. Soit on s'arme de patience, soit on s’arme tout court... Casquette,
bouquin ou à main nue, rien n'échappe à ce sanglant et inégal combat, à deux
contre mille.
J'arrête quand je veux ! Une
promesse plus facile à tenir pour un fumeur que pour un cyclo-voyageur.
Kiwi, un mot simple et amusant. Un mot
auquel nous associons tous une image, donnons une définition. Pour certains,
cela sera un fruit mûr mélangeant l'acidité au sucré. Pour d'autres, un
maladroit volatile au bec sans fin. Certains y verront peut-être même un peuple
vibrant au rythme du rugby. Plus j'y pense et plus j'y crois, la vie est un kiwi
que le voyage aide à comprendre. Un joyau qui se conjugue non pas au singulier,
mais au pluriel.
Lune. La Juliette de Shakespeare
voyait en cet astre une inconstante que l'on ne peut comparer à l'amour. Moi,
j'y vois un pilier fort qui relie le voyageur à ceux qu'il aime. Cette pensée,
je la dois à ma maman qui, habituée à me voir partir, m'a dit un jour : « Le
soir, si tu regardes la lune, je saurai que l'on contemple la même chose au même
moment. Et cela me donnera l'impression que tu es un peu moins loin de
moi. » Aujourd'hui, je me surprends parfois à errer sur la planète de
Pierrot, à observer ce grand lapin, le coeur serré. La lune me rappelle que des
gens m'aiment et attendent mon retour. La lune est et restera mon plus grand
soleil.
Mail, quelques clics et nous voilà
informés. Déclarations d'impôts, naissances, petits bonjours ou véritables
romans, la communication n'a plus de frontière. Le temps s'efface devant le maître
mail. Je me souviens d'une lettre écrite par l'un des deux hommes qui a conquis
l'Annapurna en 1950. Un écrit qui relatait leur aventure et l'insolite voyage
d'un de leurs porteurs, qui avait été envoyé à la poste de Delhi pour
s'informer d'un éventuel courrier. Proche de Katmandou, il lui avait fallu
parcourir des centaines de kilomètres pour une hypothétique lettre. Bip : « Vous
avez un nouveau message ». Mail, forum, réseaux sociaux, GPS, carte de crédit,
smartphone, ordinateur portable, altimètre, station météo de poche, panneau
solaire. Les années ont passé et la façon de voyager s'est modifiée.
Voyage-t-on mieux aujourd'hui ? Je manque de recul pour statuer.
Naufrage. Il n'y a pas qu'en mer que l'on
peut faire naufrage. Le voyage compte aussi son lot de naufragés. Je ne sais
trop pourquoi mais il arrive que l'on se perde sur les sentiers du monde. Errer
est le terme. Aller de l'avant sans plus savoir pourquoi. S'arrêter dans un
village et ne plus en repartir. S'il n'y a pas vraiment de lieu propre au
naufrage du voyageur, certains sont tout de même reconnus pour être de véritables
« Cap Horn ». L'Inde en est le maître, pays où des dizaines et des
dizaines de voyageurs déambulent sans le sou, ayant laissé leur identité au
coin d'une rue. Le temps a perdu sa mesure et les questions n'ont plus de sens.
Plus vraiment des voyageurs et assurément pas des autochtones, ils flottent
entre deux mondes, comme des âmes en peine.
Oui, c'est la réponse que je
donnerais à Aline si elle me demandait de repartir avec elle faire « le
Tour ».
Pont : « Ouvrage par lequel une
voie de circulation, un aqueduc, une conduite franchit un cours d'eau, un bras
de mer, une dépression ou une voie de circulation. » (Larousse). Ces édifices sont bien plus, pour
le cyclo-voyageur, que de simples voies de circulation. Ils sont comme l'oasis
pour le bédouin, sécurisants et réconfortants en même temps. Qu'importe leur
taille ! Par beau temps, ils se transforment en parasol, offrant cette
ombre si rare quand l'Astre est au zénith. Par temps pluvieux, ils deviennent
toits. Oh ! comme il est agréable de savoir que l'on pourra cuisiner et
dormir là où la pluie ne peut aller. Le pont est protecteur. Il nous cache,
nous dissimule des regards indiscrets. Quand le camping sauvage est interdit ou
que la région semble peu sûre, le pont nous protège comme la poule le ferait
avec ses poussins. Le pont peut également être lieu de mort. Grand nombre
d'animaux viennent y terminer leur vie. Mais il est aussi lieu de vie, où
poissons, batraciens et oiseaux aiment à se prélasser à l'ombre de ce géant de
pierre et d'acier.
Questionnement, un état que le « noir ou
blanc » satisfait rarement. Un chemin qui, en s'explorant, s'étale tel un
delta. La simplification est rarement une réponse mais un bouchon gardant précieusement
l'ivresse du savoir. Pourquoi certains se perdent-ils dans ce labyrinthe
fractal alors que d'autres n'en connaissent pas l'existence ? Y a-t-il une
sortie ou le jeu consiste-t-il simplement à parcourir ses entrailles avec, qui
sait, deux ou trois jardins pour s'y reposer ?
Réparation. « Qui veut aller loin ménage
sa monture. » Qui va loin doit savoir la réparer ! L'usure du temps
ne se lit pas seulement sur le visage de celui qui voyage ; il s'observe également
sur son équipement. Ce n'est pas le nombre d'accrocs qui fait le voyageur mais
le nombre de tacons. Ce n'est pas le nombre de pièces neuves qui fait le
cyclo-voyageur mais la couleur de ses mains. Un proverbe bouddhiste dit : « S'il
n'y a pas de solution, c'est qu'il n'y a pas de problème. » Un outil
essentiel pour le voyageur au long cours. Un outil que l'on retrouve dans
toutes les « trousses » de ceux qui croient en eux.
Sourire. Le cyclo-voyageur transporte une
multitude de clés dans ses sacoches : une clé à molette, une clé de 5, de 12,
de 13 et de 14, deux clés de cadenas, des clés imbus et pour certains, quelques
clés USB. Elles peuvent toutes se prêter, se donner ou se perdre et n'ont que
peu d’impact sur le cours d'un voyage. Il y a une clé que l'on reçoit à la
naissance, une clé unique qui nous rend beau, qui nous rend bon. Cette dernière
ouvre plus de portes qu'un voleur ne peut en fracturer. Elle s'offre sans
raison et contente petits et grands. Cette clé est le sourire qui accompagne à
merveille la clé des champs.
Temps, voyage, petite parenthèse dans
ce monde qui en demande tant et qui en donne si peu. Ce tableau est-il vraiment
la réalité ou seulement celle que l'on se peint jour après jour. Le temps est
en soi une chose bien simple mais sa gestion semble si compliquée. Avoir du
temps est un luxe, ne pas en avoir fait sérieux, en avoir trop rend marginal.
Mais avoir du temps, n'est-ce pas simplement une question de choix ? Des choix
qui nous mènent vers l'être ou l'avoir ?
Une carte postale. Singulier objet
qui rassure, paradoxe à deux faces. J'ai reçu une carte postale, j'ai donc un
ami. J'ai envoyé une carte postale, j'ai donc un ami... enfin, je crois. Il est
tellement plaisant de découvrir cette petite touche de couleur en relevant son
courrier. Mais tellement astreignant de s’atteler à sa rédaction. Notre bonheur
est-il plus important que celui des autres ? C'est pourtant cela recevoir une
carte postale. Soixante secondes de plaisir pour dix minutes de calvaire. Nous,
nous y avons trouvé une toute autre utilité. Faire découvrir notre pays aux
personnes que l’on croise. « Une image vaut mieux qu'un beau
discours. » Des images,
on en a plein : Château de Chillon, ville de Vevey, vignoble de Lavaux, glacier
d'Aletsch, bateau de la CGN, Dents du Midi... Petits ambassadeurs à deux roues,
nous faisons découvrir la neige aux habitants des déserts, les châteaux à ceux
qui n'ont jamais vu de maisons en pierre. Les questions fusent et divergent
mais à chaque fois les sourires naissent et les yeux brillent. Et ça, sans même
les écrire.
Vevey, nid d’où nous avons pris notre
envol pour une destination incertaine. Première d'une liste plus longue que le
nombre de jours qu'il y a dans deux années. Les villes, à l'image de l'homme,
sont uniques. Véritables joyaux ou taudis nauséabonds, les villes ne nous ont
jamais laissés indifférents. Peurs, rires, larmes, elles sont créatrices de
sentiments que le temps transforme. Oasis ou passage obligé, nos sourires se
dessinent tantôt à l'entrée, tantôt à la sortie de ces agglomérations.
Certaines sont de véritables trésors, d'autres ne sont pour nous que des « banques »
où l'on se réapprovisionne. Sans ville, notre voyage ne serait possible. Et
c'est d'une manière bien ingrate que nous les considérons. La ville transforme
les hommes, leur donnant un sentiment de force, d'invulnérabilité, une bêtise
que n'égale que l'oubli de Celle qui nous a tous vu grandir.
WC, ou l'endroit idéal pour vous
parler de la petite commission. Un sujet souvent étalé sur le papier mais
rarement à l'aide d'une plume. Un acte d'une telle singularité que l'on n'ose
en parler. Tabous, tout à l’égout. Loin du qu’en-dira-t-on, c'est sans gant que
j'attaque le morceau. Le roi est comme l'étron, il se pose sur le trône. Si
tout le monde sait ce qu'est un roi, peu d'entre nous ont déjà « bûché »
sur un trône. C'est que cette chose qui nous est si naturelle est loin d'être
universelle. Intimité, papier et silence, le trio gagnant pour qui veut se
soulager. Un trio malmené pour qui veut voyager. Je pourrais vous parler de ces
Boliviennes qui se soulagent sans même relever leur robe. Je pourrais vous
parler de ces Indiennes qui nous font voir la lune au milieu du jour. Je
pourrais vous parler de ces milliers d'hommes et de femmes qui s'essuient avec
la main. Je pourrais vous parler de ces petits culs blancs qui s'enferment dans
des pièces, s'efforçant de ne faire aucun bruit et aimant bouquiner une fois
les intestins purgés. Je pourrais vous parler... mais excusez ! Là, il me
faut y aller.
X est égal à... Le voyage est
semblable à X. Un éternel inconnu que l'on cherche à comprendre. La formule
peut varier mais semble toujours assez simple au départ. On la travaille et on
la retravaille. Plus on avance et plus de facteurs entrent en ligne de compte.
On s'obstine, on simplifie, on fractionne. De quelques caractères, on arrive à
une page entière. Si le voyage est semblable à X, il ne se calcule par contre
pas. Il se vit et c'est peut-être dans ses inconnues que l'on y trouve nos réponses.
Yeti, un rêve d'enfant. Un abominable
homme des neiges qui m'ouvrit les portes du questionnement. Est-il possible
que... Par manque de connaissance et parfois de temps, le « non » revenait
souvent en réponse. Mais le savoir, n'est-il pas comme le monde, rempli de
chemins ? Chemins qu'il faut emprunter soi-même pour y découvrir la vérité.
Aujourd'hui, je le sais. Le yeti existe ! Peut-être sur les pans enneigés
de l'Himalaya, assurément dans les croyances de ces peuples qui tutoient les étoiles.
Zorro en castillan, renard en français.
Vivant entre piste et asphalte, nous avons rapidement compris que le goupil,
ainsi que ses frères à poils, à plumes et à écailles, feraient partie de notre
voyage. Jamais hostiles, souvent curieux. Nous avons fait de ces scènes
quotidiennes de véritables instants de bonheur. Qu'il pleuve ou qu'il vente,
nous ne pouvons nous lasser de ces petits moments que la nature nous offre.
Ballets de dauphins joueurs, envol d'un papillon azur, regard béat d'un
dromadaire, lenteur du pas de l'éléphant... Comment ne pas succomber ?
Mais surtout, comment le faire connaître, le partager, pour qu'il ne
disparaisse, emporté dans la frénésie humaine.OF 19.04.14
Mais ou donc est passé le V ? Y s'est pas levé ?
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