Mes étagères
d'enfance ont longtemps ressemblé à une banquise où des colonies entières de
pingouins, de manchots pour être exacte, y ont niché bien des saisons. Année
après année, ils sont devenus plus nombreux, la banquise a dû s'élargir.
Peluche, tasse, mobile, porte-savon, statue, pendentif, carte postale ou
poster. De porcelaine, en terre cuite, en marbre, en papier mâché ou en tissu...
Et au milieu de cette colonie hétéroclite, invisible mais pourtant si présent :
le rêve de pouvoir approcher un jour celui de chair et de plume.
Un murmure au loin,
une information glanée dans un guide, des rumeurs de voyageurs : il y aurait
des manchots sur notre route, en Patagonie et en Terre de Feu. Je préfère ne
pas trop y croire, prémonition d'une trop évidente déception. Pourtant, lorsque
nous approchons des lieux-dits, l'excitation bourgeonne. Peu avant Punta
Arenas, nous nous apprêtons à prendre un petit chemin pour rejoindre une
colonie de manchots de Magellan. Un détour de 60 km. face au vent ; mais pour
des manchots, je suis prête à tout. J'arrête une voiture pour demander la
direction. « Oui ma p'tite dame, c'est bien par là que se trouve la
colonie, on en revient justement. Mais ils sont tous partis ! » « Pardon
??? » « Et bien oui, il n'en reste plus un seul, vous arrivez trop
tard dans la saison. »
Il faut se rendre à
l'évidence. Généralement, lorsque l'on parvient à un sommet, la vue est obstruée
par une mer de nuages. Lorsque l'on se rend à un musée, il est justement fermé,
en cours de rénovation ou déplacé. Les condors décollent et planent à côté de
tous les autres cyclo-voyageurs alors que nous scrutons obstinément le ciel. Ainsi
rien d'étonnant lorsque l'on s'approche enfin d'une colonie de manchots, à ce
qu'elle ait précisément décidé de s'en aller !
Soit. Je ne verrai
pas les manchots de Magellan. Mais... il y aurait, semble-t-il, une colonie de
manchots royaux un peu plus loin, en Terre de Feu. Et eux, nous a-t-on dit, ne
migrent pas ! Enfin, normalement... Des policiers nous ont indiqué comment
atteindre les manchots, en toute légalité, sans passer par la case touristique
d'un propriétaire terrien qui fait payer le droit de les voir. Nous entrons
donc par la porte des artistes, celle qui mène au-devant de la scène, celle qui
permet de côtoyer les stars de près. D'abord des silhouettes floues, au loin,
sur la plage. Peut-être est-ce... Puis des formes qui se distinguent. Il n'y a
plus de doute. Enfin, ils sont là, devant nous, à côté de nous, autour de nous.
Ils s'affairent tout en nous observant du coin de leurs yeux sombres, et petit à
petit s’apprivoisent. Alors, l’espace d’un instant, plus rien n'existe. Juste
eux et nous. Un instant où rêve et réalité n’ont plus de frontière. AG 28.03.14
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