Le 21 septembre
2013, c'est finalement le Chili qui nous ouvre ses portes. Il aura fallu à
peine quelques minutes pour obtenir le tampon d'entrée et ceci à bord même du
bateau. Au petit matin, deux employés de la douane viennent nous chercher pour
nous mener en ville et nous accueillent à bras ouverts. Ce sera bien la première
fois que nous faisons la bise à des douaniers ! Ainsi, non sans une pointe de
nostalgie, nous quittons La Traviata et son équipage. Une page de notre voyage
se tourne, une nouvelle ne demande qu'à être griffonnée. Et c'est à l'encre de
nos efforts que nous écrivons ce nouveau chapitre.
Notre premier objectif est de
rejoindre Colchane, village frontière d'avec la Bolivie. On le sait, ça va
monter, puisque l'on part de l'altitude 0 pour atteindre 3’750 mètres. Et
encore, c'est ce que l'on croyait...
Les premiers kilomètres nous font vite
prendre de l'altitude et les montagnes dorées du désert d'Atacama remplacent
rapidement le bleu de l'océan. En quelques heures nous voilà dans un nouvel
univers. ça y est, l'aventure
reprend ! Nous campons au milieu de cette étendue calme. C'est alors que je réalise
à quel point le silence m'avait manqué. A bord du navire, même au milieu du
Pacifique, il y avait toujours un bruit : celui de la machinerie, de la
climatisation ou encore du vent.
Au deuxième jour nous atteignons la Panamericana,
que nous suivons jusqu'à Huara. Là, nous faisons le plein en eau chez les carabiñeros
et achetons du thon et des pâtes dans une minuscule échoppe. D'après les
informations récoltées, notre prochain lieu de ravitaillement serait à 70 km.
de Huara et se percherait à 3’300 mètres d'altitude.
Ainsi nous entamons la réelle
ascension des Andes.
La route chilienne, comme bien
d'autres d'ailleurs, est une réelle mine d'or. Tout d'abord elle permet d'étudier
la consommation des locaux grâce aux nombreux déchets qui la jalonnent. Elle
informe aussi sur les rencontres potentielles, comme ce scorpion écrasé qui gît
à nos pieds. Si l'on a l'œil aguerri, la route nous offre également de quoi regarnir
son crapaud et même des paires de chaussures pour qui en a besoin. Mais la
route, c'est aussi une sacrée coquine. Jamais elle ne se laisse prévoir, ne se
dévoile que partiellement et aime à surprendre.
Le troisième jour, nous roulons huit
heures et demie et finissons la journée sur les rotules. Un coup d'œil à
l'altimètre : nous venons de grimper quelques 1’800 mètres de dénivelé et nous
voilà à 3’125 mètres. A l'ombre d'une pelleteuse et de cactus, nous dévorons
notre couscous-thon comme s'il s'agissait d'un repas de fête. Certes, il n'y a
ni plateau de fromages ni vin rouge, mais Dieu que c'est bon !
Au quatrième jour, nous n'y comprenons
plus rien. On ne cesse de monter alors que Chusmiza, le village-ravitaillement,
devrait être à 3’300 mètres. Et puis le voilà : tout en bas dans une vallée.
On ne peut s'empêcher de penser : quel gâchis ! Nous descendons donc au village
et faisons le plein en eau et en nourriture pour trois jours d'autonomie.
Colchane n'est qu'à 90 km. mais nous savons ô combien notre vitesse peut varier
en fonction de nombreux facteurs. Ainsi, nous repartons avec 26,5 litres d'eau,
des spaghettis, des boîtes de thon et des biscuits. Est-ce le poids de mon vélo
ou l'altitude ? Je n'avance plus ! Même pousser le vélo est éreintant. Le
souffle se fait court, le rythme cardiaque augmente. C'est rude, c'est pénible,
c'est dur, c'est épuisant, c'est... On espère incessamment que le sommet de la
montée cache une descente. Mais la plupart du temps, c'est une nouvelle montée
qui se dessine sous nos yeux. Ou une cuvette : l'éloge de comment descendre
pour mieux remonter. Tant et si bien que nous atteignons les 4’360 mètres
! Comme pour se faire pardonner, la route nous offre un panorama grandiose. De
l'ordre de l'irréel ; ce que l'on voit ne se rattache à aucun paysage de notre
boîte à souvenirs. Mais la beauté ne fait pas tout ! Il nous faut trouver un
lieu pour camper, car nos muscles sont cuits. Ce soir, nous dormirons à 4’300 mètres.
Le mal de tête commence à prendre ses aises chez Olivier. Nous restons alertes
car à cette altitude personne n'est à l'abri du mal aigu des montagnes. Alors
nous nous endormons, ou du moins nous tentons, en réfléchissant chacun de son côté
au plan de secours à adopter en cas d'aggravation. Au matin, le mal de tête
nous a gagnés tous les deux, mais il reste gérable. Par contre, j'ai
l'impression d'être aussi fatiguée qu'au soir. Tout geste est pénible, j'agis
au ralenti. Néanmoins, nous reprenons la valse des montées et des cuvettes.
Devant chaque pente, l'unique objectif devient d'en atteindre le sommet. Et
puis, il y a les sous-objectifs. Bon, allez cocotte, va d'abord jusqu'aux gros
cailloux. Ok, maintenant tire jusqu'au panneau jaune, je t'octroie une pause là-bas.
Allez, cette fois, vas-y, encore quelques mètres et tu y es !
Au menu de midi : pâtes au thon. Sauf
qu'il faut cuire les pâtes. Sauf que nous sommes à plus de 4’000 mètres. Sauf
qu'à cette altitude, le réchaud peine encore plus que nous. Il ne nous offre
que quelques menus crachats qui finiront, avec beaucoup de patience, à rendre
nos pâtes très al
dente. Vu que le menu du soir est identique à celui de midi,
nous tentons la « précuisson » des pâtes en les faisant tremper tout
l'après-midi dans de l'eau. Qui sait... La suite de la journée nous offre une
route plus clémente et un décor de plus en plus magique. Nous campons à 3’800 mètres.
La technique des pâtes fonctionne, à condition de ne point être tatillon sur la
texture des spaghettis.
Au cinquième jour, je me réveille avec
un mal de tête, la bouche soudée et le visage gonflé, à peine de quoi ouvrir
les yeux. Tracas sanitaire moindre, comparé à celui qui aurait pu m'atteindre
quelques minutes plus tard. Car en roulant la tente, un scorpion surgit de
dessous la toile, à quelques centimètres de ma main. Si petit, mais si menaçant...
La route qui nous mène dans la plaine
de Colchane nous fait vite oublier tout tracas et récompense au centuple les
efforts des jours passés. Olivier ne cesse de s'arrêter pour prendre des photos
: « C'est pas possible comme c'est beau ! » Et il a tellement raison
! Des troupeaux de lamas multicolores, des plaines jaune-vert, des marécages
aux reflets intenses du ciel, des montagnes aux sommets saupoudrés de blanc...
Colchane, enfin nous voilà ! Pas pour longtemps, puisque nous filons tout droit
du côté bolivien de la frontière. La paperasserie douanière dure à peine dix
minutes. Je n'ai pas besoin de beaucoup insister pour obtenir nonante jours au
lieu des trente habituels. Un simple « nous sommes à vélo... » suffit.
De l'autre côté de la frontière, il y a Pisiga et sa file interminable de
camions qui patientent. Un village qui n'a de sens que grâce à la frontière. Au
bord de la route, de manière tout aussi officielle que surprenante, une dame
nous change notre argent chilien. Nous prenons une petite chambre dans l'un des alojamientos
du village et faisons nos premiers pas dans ce que certains nomment « le
Tibet de l'Amérique ». AG 26.09.13
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