De Ushuaia à La Baneza


Une heure trente du matin, dans une auberge, sur le canapé du réfectoire. Le bruit du frigo qui vient de se mettre en marche me paraît être un doux ronronnement à côté de celui qui règne dans le dortoir. Je suis venue ici demander asile dans l'espoir que ce lieu soit plus propice au sommeil. Ce dernier tardant toujours à venir, je prends la plume.
Décidément, la vie est pleine de surprises. Nous voilà en Europe et cette vérité demeure. Nous pensions retrouver avec ce continent une certaine austérité, cheminer sur un tracé aussi bien rôdé que le réseau routier. Mais c'est avec régal que nous vivons chaque journée car nous savons qu'elle peut à chaque instant nous offrir l'impensable, ici aussi.
Le 2 avril, nous débarquons à Lisbonne. Nous y sommes accueillis par Daniela et Tiago, contactés par le biais de warmshower. La trentaine également, ils prévoient à leur tour de partir l'année prochaine pour un grand voyage. Ils nous offrent un atterrissage tout en douceur sur le vieux continent et nous prouvent que l'hospitalité n'est pas chasse gardée de l'Asie.
De la capitale, nous pensions pédaler jusqu'à Porto, mais notre route est attirée par un lieu plus à l'est, un lieu qui se nomme São Joaninho de Santa Comba Dão. Un échange de mails avec la Suisse et c'est le Portugal qui nous ouvre ses portes. Le Portugal, en la personne de Maria, la maman d’une amie. Elle nous accueille chez elle comme si elle nous y attendait depuis toujours. Elle parle portugais, je parle espagnol, quelques mots français glissent par-ci par-là, le corps complète la conversation et l'essentiel est dit. Le souper ressemble à un repas de fête, en compagnie de l'un des fils de Maria, de sa famille et d’une voisine parlant français. Le lendemain, nous vivons pleinement la douceur d'une journée de printemps dans ce petit village portugais.
Au nord de Bragance, seuls un panneau routier et le changement de langue nous confirment que nous venons d'entrer dans un nouveau pays. Cette simplicité en est presque décevante. A Puebla de Sanabria, nous envisageons un camping pour des questions...d'hygiène. Trop cher à notre goût, nous poursuivons. C'est alors qu'un cyclo-voyageur venant en sens inverse nous arrête.
« Eh ! Je vous reconnais ! Je vous ai vu sur Internet !
- Euh… et bien... peut-être faites-vous erreur ?
- Non non, je me rappelle très précisément ta tête, dit-il en me désignant. J'ai très envie de parler avec vous, allez, je vous invite au camping ! Et la tournée de bières est pour moi ! »
Nous faisons alors la connaissance de David, un Espagnol de quarante-sept ans, qui rêve de faire lui aussi un « Grand Tour » et qui, pour l'heure, rentre de Hollande où il a acheté son vélo. Il est avide d'expériences et d'avis sur les obstacles qu'il perçoit à la réalisation de son rêve, comme les visas, la sécurité et son âge. Le lendemain matin, avant de se quitter, il nous dit : « Peut-être ne vais-je pas tout de suite rentrer à la maison, poursuivre encore un peu mon voyage et qui sait... »
En remontant mon vélo à l'aéroport de Lisbonne, j'ai modifié légèrement la position de ma selle. Deux semaines plus tard, des lancées aiguës traversent mon genou gauche à chaque coup de pédale. Je repositionne ma selle comme auparavant et les douleurs disparaissent. En deux ans, mon corps s'est adapté à une position et tout changement rompt l'équilibre. Ceci est l'histoire d'un genou. Mais qu'en sera-t-il de nous-mêmes lorsque ce sera notre quotidien qu'il va falloir modifier ? 
A La Bañeza, en milieu d'après-midi, je m'arrête pour regarder la carte. Une voiture ralentit, un homme me demande : « Vous cherchez le refuge ? » « Non, non. » Quelques mètres plus loin, une femme nous arrête carrément :
« Vous avez mangé?
- ...
- Il y a un repas organisé par l'église au coin de la rue : riz, bacalao, oranges et biscuits. C'est offert et c'est pour tout le monde. Ensuite, le refuge est par là. 
- Le refuge...
- Le refuge des pèlerins de Compostelle, évidemment !
- Ah oui, évidemment ! »
Et la dame nous indique le chemin. Parfois, il y a des signes qui ne trompent pas. Je fais tout d'abord la queue avec ma gamelle dans l'enceinte d'une église où règne une bonne humeur bruyante. Un entretien avec le père responsable du lieu et nous obtenons l'autorisation de nous rendre au refuge bien que nous n'ayons pas le carnet du pèlerin.


Et c'est ainsi que nous nous retrouvons dans cette auberge en compagnie de trois autres voyageurs. Alors nous plongeons, le temps d'un instant, dans l'univers de ce célèbre pèlerinage. AG 17.04.04      


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